VIH : lutter plus efficacement contre la résistance aux traitements

Lundi 19 juillet 2021
VIH
Introduction
Faciliter l’accès aux tests de charge virale et comprendre le degré de résistance aux antirétroviraux pour adapter mieux et plus rapidement les traitements des personnes vivant avec le VIH, tel est le résultat deux études menées par Epicentre.
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Corps éditorial

Le traitement de l'infection par le VIH combine plusieurs antirétroviraux (ARV) qui empêchent la multiplication du virus dans l'organisme. Il associe des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), 1er classe d’ARV mise sur le marché en 1987, et des inhibiteurs non-nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI), apparus 10 ans plus tard. 

Depuis 2019, face à l’augmentation de la résistance du VIH aux ARV – et plus spécifiquement aux INNTI – l’OMS recommande le Dolutégravir en traitement de première et de deuxième ligne. Cet inhibiteur de l’intégrase de nouvelle génération, qui remplace les INNTI, est prescrit en association avec le Ténofovir ou la Zidovudine (INTI).

Malgré une augmentation généralisée de la résistance, les données montrent des situations différentes selon les pays et les populations. La surveillance de l'évolution des résistances aux ARV passe à ce jour par des enquêtes et des études et ce, en raison de la complexité et du coût des tests de résistance à ce jour.

Adapter les traitements en fonction des résistances observées

« Ainsi il n’existait aucune donnée fiable sur la résistance aux ARV au Mozambique, notamment en dehors de la capitale Maputo, ni d’information sur la résistance chez les patients traités en 1ère ligne par le Ténofovir, note Valentina Carnimeo, épidémiologiste à Epicentre. En 2017, avec MSF, nous avons donc décidé de faire un état des lieux à Maputo et à Tete, un district plus rural dans le nord du pays. » L’objectif était d’évaluer la résistance acquise aux ARV chez les patients traités, mais aussi chez les personnes dites naïves, soit n’ayant jamais suivi de thérapie anti-VIH ou recommençant un traitement par ARV après une interruption de plus de 3 mois.

Le premier constat de cette étude parue dans JAC Antimicrob Resist est que moins de 10 % des patients sont en échec virologique à Maputo et environ 16 % à Tete. « Ce taux qui n’est pas aussi élevé qu’escompté s’explique aussi par le déploiement réalisé grâce au soutien de MSF depuis quelques années des tests de charge virale en routine dans ces régions, » enchaîne Valentina Carnimeo. Le génotypage de la résistance effectué chez les patients en échec virologique montre en revanche que 90 % d’entre-deux ont développé une résistance à au moins une des molécules les plus utilisées lors du traitement par ARV. Et la double résistance Ténofovir/Lamivudine - deux molécules prescrites en combinaison avec le Dolutégravir en nouvelle première ligne - touche plus de la moitié des personnes en échec thérapeutique.

Quant aux taux de résistance pré-traitement ou 3 mois après la suspension de celui-ci, les résultats de l’étude sont alarmants avec 17 % en zone urbaine et 31 % en zone rurale. « Ces taux dépassent largement le seuil d'alerte de 10 % de l'OMS, » s’inquiète Valentina Carnimeo. En outre, il a été observé une résistance élevée à l’Efavirenz, l’ARV prescrit en alternative au Dolutégravir pour les femmes en âge de procréer compte-tenu du risque - très faible, mais existant – de malformation fœtale associée à ce traitement.

Si le recours à un traitement de première ligne à base de Dolutégravir doit être proposé immédiatement à tous patients qui commencent un traitement antirétroviral et à ceux qui ont déjà été exposés à des thérapies anti-VIH, ce passage doit s’accompagner d’une évaluation de la charge virale et du génotypage de la résistance.

« Car au vu de nos résultats, l’efficacité de la nouvelle première ligne pourrait être altérée chez la moitié des patients à Maputo (52,8 %) et les deux tiers de ceux de la zone rurale de Tete (66,7 %), » conclut l’épidémiologiste.

 

Passer sans délai à une ligne thérapeutique efficace chez les patients en stade avancé du VIH

Une autre étude mêlant les méthodes quantitatives et qualitatives (méthode mixte) menée par Claire Bossard, épidémiologiste localisée en Afrique du Sud pour Epicentre, dont la partie quantitative vient de faire l’objet d’une publication dans JAIDS, pointe également du doigt la nécessité d’améliorer l’accès au test de charge virale et au génotypage de résistance. « Dans les deux hôpitaux où nous avons mené l’étude, un hôpital MSF en République Démocratique du Congo (RDC, Kinshasa) et un hôpital soutenu par MSF au Kenya (Homa Bay), 71 % des patients en RDC et 37 % au Kenya avaient une charge virale élevée (c’est-à-dire supérieure ou égale à 1000 copies/ml) et parmi eux, 73 % présentaient une double résistance aux INTI et aux INNTI » explique Claire Bossard. Des arrêts de traitement de plus de 48 heures au cours des 6 derniers mois ont par ailleurs été rapportés par 57 % des patients en RDC et 42 % au Kenya. Près de la moitié des patients présentaient également des taux sanguins de Ténofovir bas, ce qui témoignerait d’une prise de traitement suboptimale.

 

« Notre étude a montré que chez ¾ des patients hospitalisés à un stade avancé du VIH, deux des trois molécules de leur traitement antirétroviral étaient inefficaces, ce qui revenait pour ces patients à être traités en monothérapie, » explique Claire Bossard.

Au vu des taux de résistance révélés dans l’étude, un changement de traitement devrait être considéré dès la 1ère détection d’une virémie élevée chez les patients avec un taux de CD4 ≤350 cellules/ml ou lorsque la charge virale n'est pas disponible avant la sortie de l’hôpital pour ceux dont les taux de CD4 sont ≤100 cellules/ml. Ces résultats ont d’ailleurs contribué à la publication des nouvelles recommandations cliniques pour la prévention, le traitement et les soins du VIH de la part de l’OMS (1). « La mortalité dans ces hôpitaux avoisine les 20 à 30%, continue Claire Bossard, et celle post-hospitalière, bien que plus difficile à mesurer, est également considérable. Il est vital d’accélérer la reconstitution immunitaire de ces patients afin d’améliorer leur chance de survie, tout en poursuivant bien sûr les activités de soutien à l’observance thérapeutique et de support psychosocial des patients ».

Les patients ont également été interrogés individuellement dans le cadre de la partie qualitative de l’étude afin de mieux comprendre leurs expériences vis-à-vis du diagnostic, du traitement, de l'hospitalisation et retracer leurs parcours de soins, dans le but d’améliorer leur prise en charge médicale (2).

Alors que les tests de charge virale et de résistance constituent le meilleur moyen à ce jour de déterminer si les traitements du VIH sont efficaces, de nombreux patients n’y ont toujours pas accès ou bien les résultats ne sont pas disponibles lors de la prise en charge hospitalière, réduisant d’autant l’efficacité des approches thérapeutiques.

 

  1. Recommandations mises à jour de l'OMS sur le suivi du traitement du VIH en mars 2021
  2. Ces résultats feront l'objet d'une prochaine publication "Slipping through the cracks: a qualitative study to explore pathways of HIV care and treatment amongst hospitalised patients with advanced HIV in Kenya and the Democratic Republic of the Congo." Rose Burnsa*, Emilie Venablesb,c, Lilian Odhochd, Lilian Kochollae, Stephen Wanjalad, Gisele Mucinyaf,Claire Bossarda, Alison Wringeg

 

Lire les publications

High level of HIV drug resistance informs dolutegravir roll-out and optimized NRTI backbone strategy in Mozambique.

Référence de l'article: JAC-Antimicrobial Resistance, Volume 3, Issue 2, June 2021, dlab050

High prevalence of NRTI and NNRTI drug resistance among ART-experienced, hospitalized inpatients.

Référence de l'article: Journal of acquired immune deficiency syndromes (1999) 2021 Apr 01; doi: 10.1097/QAI.0000000000002689. Epub 2021 04 01
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