EHPAD : face à la tentation du reconfinement, il faut faire preuve de rationalité et d’humanité

Lundi 27 décembre 2021
COVID-19
Introduction
Dans une tribune parue dans le journal La Croix le 20 décembre, Thomas Roederer, épidémiologiste à Epicentre et Morgane Dujmovic, chercheuse en sciences humaines et sociales, dénoncent les risques liés à une suspension des visites en EPHAD et les conséquences de telles mesures, où la logique de survie l’emporte sur celle de la qualité de vie.
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Ephad
Corps éditorial

La gestion de la pandémie en EHPAD semble ne pas avoir évolué depuis les deux premières vagues de 2020. Dans certaines régions, l’isolement des résidents est de nouveau à l’ordre du jour. Des EHPAD en Corrèze, en Gironde, dans le Territoire de Belfort, en Vendée, en Ardèche, en Mayenne, dans la Nièvre ou encore dans la Somme ont déjà pris la décision de suspendre les visites temporairement. Pourtant, les vagues précédentes ont montré avec force le danger de telles décisions. L’isolement pur et simple n’est qu’un pis-aller qui ne satisfait ni aux exigences sanitaires, ni aux exigences de la dignité humaine.

En novembre 2020, en raison de son savoir-faire dans la gestion de crise et des épidémies, Médecins Sans Frontières (MSF) a lancé un programme de soutien auprès d’EHPAD en difficulté face à la 2e vague épidémique. En parallèle, Epicentre, satellite de MSF dédié à l’épidémiologie et à la recherche médicale, a mené une étude alliant données quantitatives et qualitatives entre novembre 2020 et mars 2021 dans 22 EHPAD soutenus par MSF en PACA et Occitanie.

Notre enquête a mis au jour plusieurs facteurs augmentant la propagation de l’épidémie chez les résidents et sa létalité. Parmi ceux-ci figure la taille de l’EHPAD : les grandes structures ont davantage été touchées. La propagation s’est aussi accélérée consécutivement à un taux d’attaque élevé parmi le personnel soignant, soit en raison des formes asymptomatiques associées à un risque de contamination direct des résidents, soit en raison des arrêts maladies. Le syndrome de glissement -forme de décompensation aiguë- augmente, car par manque de temps, le personnel repère moins les personnes dont l’état de santé se dégrade parfois jusqu’à la mort. Plus le ratio entre le nombre de soignants et de résidents se rapproche de 1, plus le taux d’attaque et la létalité diminuent.

Autre facteur : l’absence de médecin coordonnateur à plein temps. Dès lors que les EPHAD disposent d’un médecin coordonnateur, la létalité du COVID-19 est plus faible.

Surtout, les entretiens menés ont souligné le caractère délétère de la mesure de « rester en chambre » en vigueur de mai 2020 à février 2021, qui s’apparentait à un enfermement et de fait une privation de libertés, le plus souvent prise sans concertations avec les résidents et les familles. Les résidents nous ont confié avoir souffert de ce confinement strict imposé et encore plus de la suspension des sorties et des visites de leurs proches, en particulier à l’approche des fêtes : « Si on sortait, on supporterait mieux ».

Cette mesure était d’autant plus inepte que les résidents en EHPAD nécessitent des soins et une attention qui rendent tout isolement impossible. Elle a en revanche favorisé l’apparition du syndrome de glissement, probable facteur accélérateur de décès chez les personnes souffrant de COVID-19. Un quart des personnes atteintes de COVID-19 que nous avons recensées présentaient un tel syndrome et parmi celles-ci 61% sont décédés, un surcroit de mortalité significatif par rapport à la létalité globale de 22% observée.

La volonté de sauver des vies « quoi qu’il en coûte », si noble soit-elle, ne saurait remplacer une approche concertée et adaptée aux structures particulières que sont les EHPAD, où l’espérance de vie est en moyenne de deux à trois ans et où la recherche d’une qualité de vie – de fin de vie, dans beaucoup de cas - devrait prévaloir sur toute logique de survie. L’application de protocoles généraux, sans concertation des différents acteurs (personnel, résidents, familles), ni prise en compte des remontées de terrain apparaît dès lors préjudiciable à la santé des résidents. Selon les mots d’un soignant d’un des établissements étudiés : « ce qui a été difficile, c’est que l’EHPAD est devenu un service de médecine. Et ce n’était plus du tout un service médico-social, ce n’était plus un lieu de vie »

Ne reproduisons pas les erreurs du passé en optant à nouveau pour une logique d’isolement et de fermeture. Faisons en sorte que les EHPAD soient considérés comme des lieux de vie spécifiques, où la qualité de vie prime sur la simple survie.

Certains EHPAD, pendant les vagues précédentes, ont cherché à remettre de l’humain, de l’éthique et tout simplement du sens parmi des recommandations trop nombreuses et parfois contradictoires. Ils ont ouvert une voie, plus humaine et plus adaptée, démontrant que d’autres solutions existent : assurer la continuité des soins hors COVID-19 (kiné, santé mentale etc.), maintenir le contact avec l’extérieur, les visites et l’accès à l’information (TV, radio, autres), ou encore les moments d’échange entre les résidents. La présence d’un médecin coordonnateur doit être assurée pour garantir la continuité des soins et améliorer la prise en charge palliative et, si elle n’est pas possible, il faut encourager l’intervention de médecins traitants en EHPAD, imaginer un dispositif d’interventions rapides, avec des équipes de terrain, renforcer et pérenniser les hotlines gériatriques des hôpitaux et les renforts de l’HAD en soins infirmiers.

Enfin, remettons à l’ordre du jour le vote de la loi « Grand âge et autonomie », l’une des grandes promesses du gouvernement actuel. Notre étude rappelle que les EHPAD rencontrent des difficultés chroniques en termes de moyens humains (absence de médecin coordonnateur, rotations incessantes des équipes soignantes, personnel d’encadrement insuffisant) et matériels, auxquelles il est urgent d’apporter des solutions concrètes. La question du grand âge et de la fin de vie est un enjeu majeur pour notre société. L’humain doit être replacé au cœur de la gestion des EHPAD et du soin apporté aux personnes âgées. La crise des EHPAD n’est pas nouvelle ; la crise sanitaire n’a fait que la rendre plus criante.

 

Thomas Roederer, épidémiologiste à Epicentre

Morgane Dujmovic, chercheuse en sciences humaines et sociales

 

Tribune publiée le 20 décembre sur La Croix

Cette étude est en cours de publication. Elle est actuellement disponible sur MedRxiv ICI