VIH, violence sexuelle : le lourd tribut des travailleuses du sexe au Malawi
Selon l’ONUSIDA (1) en 2019, les travailleuses du sexe avaient un risque 30 fois plus élevé de contracter le VIH que la population féminine en général. « Ce chiffre montre bien évidemment la surexposition des travailleuses du sexe au VIH, mais il ne nous en dit pas plus sur leurs expériences, leurs connaissances vis-à-vis de leur statut sérologique et les autres risques encourus, ce qu’elles font pour prendre soin d’elles. Or, sans ces données il est difficile de proposer des approches spécifiques et adaptées en termes de prévention » note Claire Bossard, épidémiologiste à Epicentre. De février à avril 2019, Epicentre et Médecins sans Frontières (MSF) en collaboration avec le ministère de la Santé du Malawi ont mené une étude auprès des travailleuses du sexe à Nsanje, l’un des districts les plus défavorisés du Malawi et où un nombre important de femmes se livrent au commerce du sexe sur des lieux de travail à forte population masculine ou le long des axes routiers. MSF a fourni dans ce district, entre 2013 et 2020, des services de prévention et de soins du VIH, de la tuberculose et de la santé sexuelle et reproductive (SSR) aux travailleuses du sexe dans un programme incluant des paires (2).
« Nous avons pu interroger des femmes qui ne participent que rarement à des études, grâce à une technique dite de l'échantillonnage déterminé selon les répondants (Respondent Driven Sampling (RDS) en anglais) » explique Claire Bossard, coordonnatrice de cette étude.
Après explication de l’objectif de l’étude et obtention de leur accord, chaque participante s'est vu remettre 2 coupons qu'elle était invitée à utiliser pour recruter d’autres femmes travailleuses du sexe dans l’étude. A l’admission de l'une d’elle, l’initiatrice recevait une compensation, et ainsi de suite jusqu'à ce que la taille de l’échantillon soit atteinte. « C’est une méthodologie qui a fait ses preuves pour atteindre des populations difficiles d’accès » précise Claire Bossard. Au total, 363 femmes dont 26 % âgées de 13 à 19 ans ont ainsi été interrogées et des échantillons de sang et d'urine ont été prélevés pour déterminer leur statut sérologique au VIH et la présence d’éventuelles autres infections sexuellement transmissibles.
VIH : une prévalence qui augmente avec l’âge
Plus de la moitié des participantes étaient séropositives au VIH lors de leur enrôlement dans l'étude. La prévalence au VIH augmentait fortement avec l’âge, jusqu’à atteindre 88 % pour les travailleuses du sexe de plus de 35 ans, contre 14 % pour les 13 à 19 ans. La plupart des participantes positives au VIH déclarait connaitre son statut sérologique (9 5%) et parmi elles, la majorité (99%) était déjà sous traitement antirétroviral (ARV). Chez les adolescentes, les indicateurs cibles de l’ONUSIDA se sont révélés inférieurs à ceux observés chez les adultes : 85 % des adolescentes positives au VIH connaissaient leur statut sérologique, l’ensemble était sous traitement ARV et 63 % avaient une charge virale supprimée, contre 84 % pour les adultes.
« Le taux d’infection bien que très élevé n’est malheureusement pas une réelle surprise, commente Claire Bossard. En revanche, nous ne savions pas combien d’entre elles avaient connaissance de leur contamination. L'étude a montré que cette connaissance était assez élevée, mais que les efforts devaient perdurer. En particulier, les niveaux inférieurs de suppression virale par rapport à la population générale, soulignent la nécessité d'un investissement continu dans les services de santé et d'une sensibilisation accrue à l'importance de l'adhésion thérapeutique. ».
L’étude a également mis en évidence une forte prévalence d’autres maladies sexuellement transmissibles comme la syphilis (30%), l'infection à chlamydia (12 %) ou les gonorrhées (9 %). Non traitées, ces infections peuvent avoir de graves conséquences et ont par ailleurs tendance à provoquer des formes plus graves chez les personnes porteuses du VIH.
Des difficultés à se prémunir contre les infections et des grossesses non désirées
Bien que la plupart des travailleuses du sexe interrogées avaient une bonne connaissance des modes de transmission du VIH, et une conscience des risques auxquelles elles étaient exposées, plus de la moitié déclaraient n’utiliser qu’occasionnellement un préservatif.
« Nous savons que les travailleuses du sexe sont souvent exposées à la difficulté de négocier l'utilisation de préservatifs avec leurs clients, et que par ailleurs, leur rémunération est souvent plus élevée si les rapports sexuels sont non protégés, ce qui peut les dissuader d'avoir recours aux préservatifs, ». explique Lucy O'Connell, spécialiste des soins de santé sexuelle et reproductive et conseillère en populations clés à l'unité médicale sud-africaine (SAMU) de MSF.
Les grossesses non désirées étaient extrêmement fréquentes dans la population : 72% en ont signalé au moins une. Le nombre élevé de jeunes mères célibataires et les interruptions volontaires de grossesse fréquentes (bien que l'avortement soit encore illégal au Malawi) soulignent à quel point la connaissance et l'accès à des choix de contraception de qualité restent essentiels dans cette population. Près de la moitié des participantes (48 %) ont également rapporté avoir subi au moins un épisode de violence sexuelle dans leur vie, dont 14 % par un officier de police. « Malheureusement, nous constatons de nombreuses violences dans nos programmes pour les travailleuses du sexe dans la région, allant parfois même jusqu'au meurtre, comme nous l’avons vu récemment au Mozambique » déplore Lucy O'Connell. En outre, ces chiffres sont très certainement largement sous-estimés en raison du déni, du traumatisme ou du manque de reconnaissance des abus sexuels.
« Tout comme d'autres groupes très stigmatisés de la société, les professionnel(le)s du sexe évitent généralement de se rendre visibles aux autorités ou s’abstiennent d’accéder aux services de santé par peur d'être identifié(e)s, ciblé(e)s et rejeté(e)s. Nous savons que les professionnel(le)s du sexe ne signalent pas les violences sexuelles ou ne recherchent pas de traitement après celles-ci par peur d'être à nouveau victimisé(e)s. » précise Lucy O'Connell.
Grâce aux efforts menés par MSF, en soutien au ministère de la Santé et d’autres partenaires locaux, les travailleuses du sexe ont donc eu accès à la prévention et aux soins. En conséquence, elles avaient connaissance de leur statut sérologique, suivaient un traitement antirétroviral et nombre d'entre elles étaient sous suppression virale, dépassant dans certains cas les objectifs 90-90-90 de l'ONUSIDA. Mais elles demeurent un groupe difficile à atteindre, vulnérable et à haut risque avec une prévalence très élevée et une exposition à la violence et donc le travail doit se poursuivre, voire aller encore plus loin.
« Il faut lever les barrières qui limitent encore l’accès des travailleuses du sexe à la prévention et aux soins, les écouter pour savoir quel mode de délivrance et de suivi est le plus adapté pour elles, et alerter sur le besoin de protéger ces femmes contre la violence et la stigmatisation qu’elles subissent régulièrement » conclut Claire Bossard.