Antibiorésistance
La résistance aux antibiotiques ou antibiorésistance désigne la capacité d’une bactérie à résister aux effets des antibiotiques.
L’efficacité des antibiotiques a provoqué leur utilisation massive en santé humaine et animale et a créé une pression de sélection sur les populations bactériennes, entraînant l'apparition de souches résistantes. Lorsqu'on emploie un antibiotique, seules survivent les bactéries dotées de systèmes de défense contre cette molécule. La mauvaise utilisation des antibiotiques – traitements trop courts, trop longs ou à posologies inadaptées – fait partie des facteurs d’apparition de ces résistances.
Un problème et une menace croissants
La résistance aux antibiotiques est devenue l'une des plus grandes menaces pour la santé à l’échelle mondiale. Les bactéries résistantes sont déjà à l’origine de plus de 700 000 décès chaque année dans le monde et dans les 35 prochaines années, le bilan annuel pourrait s'élever à 10 millions de décès.
Le manque de données est problématique
On dispose de peu d'informations sur la résistance aux antibiotiques dans les pays à faible revenu et plus particulièrement dans les régions et au sein des populations où Médecins Sans Frontières (MSF) intervient. La raison en est l’absence de laboratoire d’analyse bactériologique. De ce fait, les traitements antibiotiques sont souvent prescrits de manière empirique et peuvent donc s’avérer inefficaces si l'infection est due à des bactéries résistantes.
Epicentre travaille à mieux décrire les infections bactériennes graves et leur résistance aux antibiotiques afin de renforcer l'usage rationnel des antibiotiques. C'est fondamental si l'on veut limiter l’expansion de la résistance aux antibiotiques.
Comprendre la résistance aux antibiotiques dans des contextes difficiles
Afin de mieux comprendre l'ampleur et la nature du problème, Epicentre concentre ses efforts à décrire l’épidémiologie de la résistance aux antibiotiques dans la communauté et dans les hôpitaux où MSF intervient.
A titre d’exemple, on peut citer les infections bactériennes invasives chez les enfants de moins de 5 ans acquises en communauté ou à l'hôpital (bactériémies et méningites) en Afrique subsaharienne, les ostéomyélites qui affectent les blessés de guerre au Moyen-Orient et les infections chez les patients souffrant de brûlures graves en Haïti.
Les variations régionales de la résistance aux antibiotiques
Les comparaisons entre l'Afrique de l'Ouest, l'Afrique de l'Est et le Moyen-Orient indiquent qu'il existe des variations considérables à la fois dans les types et les niveaux de résistance aux antibiotiques. Il est nécessaire de comprendre la complexité et les différences locales et d’en tenir compte pour adapter les protocoles thérapeutiques.
Epicentre suit l'évolution de la résistance aux antibiotiques dans ses centres de recherche au Niger et en Ouganda depuis de nombreuses années et a observé une expansion inquiétante de la multirésistance.
Notre étude de 2008 sur la septicémie chez les enfants nigériens n'avait révélé aucune résistance des Entérobactéries à la ceftriaxone, mais les résultats de l’étude conduite en 2018 montrent que 15% de ces germes sont devenus résistants à cet antibiotique. L'étude menée par Epicentre au Niger en 2017 sur le portage de bactéries intestinales multirésistantes indique des niveaux élevés de consommation d'antibiotiques dans la population générale. Au total, 90 % de la population (tous âges confondus) est porteuse de bactéries multirésistantes.
De même, en Ouganda, entre 2009 et 2012, 2 % des cas de méningite étaient résistants à la ceftriaxone alors que nous en avions 9% dans les cas de bactériémies en 2015-2016.
Pratiques de prescription d'antibiotiques au Niger et en Ouganda
Grâce à un financement du Partenariat mondial pour la recherche et le développement sur les antibiotiques (GARDP), Epicentre a mené une étude quantitative et qualitative rétrospective pour en savoir plus sur l’usage des antibiotiques en pédiatrie en Ouganda et au Niger à partir de données de 2019, et notamment comprendre comment les personnels de santé choisissent leurs prescriptions d’antibiotiques aux enfants.
Le premier constat est plutôt positif puisque 78,2 % des antibiotiques prescrits au Niger et 68 % en Ouganda appartiennent à la catégorie « Access » de la classification « AWaRe » de l’OMS, c'est-à-dire au groupe d'antibiotiques le moins exposé au risque de résistance. Le reste des antibiotiques prescrits fait partie de la catégorie « Watch », soit des antibiotiques recommandés pour des indications spécifiques et limitées et aucun n’appartenait à la 3e catégorie appelée « Reserve » qui correspond aux antibiotiques qui ne doivent être utilisés qu'en dernier recours, lorsque tous les autres antibiotiques ont échoué.
Par contre les problèmes de disponibilité dans les stocks des hôpitaux peut soit pousser le prescripteur à changer d’antibiotiques en cours de traitement, soit nécessiter que les parents l’achètent à leur frais en dehors de l’hôpital, ce qui peut les amener à recourir à un autre antibiotique moins cher voire à écourter le traitement. L’étude qualitative fait aussi ressortir que les prescriptions d’antibiotiques découlent plus de leur disponibilité et de leur facilité d’administration que du rationnel thérapeutique.
La plupart des prescriptions se fait de manière empirique, sans recourir à des tests microbiologiques qui sont rarement accessibles ou alors trop chers. Or, les personnels de santé dans les deux pays reconnaissent leur manque de connaissance en matière de bonne gestion des antibiotiques, ce qui concoure à l’essor de prescriptions d’antibiotiques à large spectre avec, en cas d’échec, l’ajout d’un nouvel antibiotique, sans tenir compte des risques en termes de résistance. Un phénomène supplémentaire émerge en Ouganda : la pression exercée par les représentants médicaux.
Analyses dans nos laboratoires
Les examens bactériologiques pour toutes les études conduites au Niger et en Ouganda sont faits dans Les laboratoires des centres de recherche d’Epicentre du Niger et de l'Ouganda ; ils fournissent des données importantes dans les pays ou régions qui n’ont qu’un accès restreint à des examens bactériologiques de qualité.
Par ailleurs, d'importantes collaborations avec des laboratoires de référence nous permettent d'affiner nos recherches et d'étudier plus en détail des mécanismes de résistance, grâce à la biologie moléculaire par exemple.
Mini-Lab : Un laboratoire transportable pour les terrains d’intervention de MSF
Le projet Mini-Lab a pour but de concevoir et de réaliser un laboratoire de bactériologie clinique, tout-en-un, autonome, transportable, à un coût abordable et surtout adapté aux terrains d’intervention de MSF. Ce concept, développé par MSF avec ses partenaires, est aussi destiné à être rendu disponible aux acteurs de la santé dans les pays à ressources limitées.
Epicentre a évalué la performance et la facilité d'utilisation du Mini-Lab intégré dans la routine clinique d'un hôpital soutenu par MSF qui n'avait pas d'accès préalable à la microbiologie, à Carnot en République centrafricaine.
Entre septembre 2021 et février 2022, 835 patients ont été inclus dans l’étude avec un total de 960 hémocultures. Le taux de positivité aux pathogènes était de 12,5%. Sur les 121 pathogènes identifiés dans le Mini-Lab, 74 ont été testés avec des méthodes de référence de référence et 68 (92,0 %) ont donné des résultats d'identification concordants avec le Mini-Lab, avec une concordance au genre de 97,4 %.
À l'issue de la formation initiale, les techniciens de laboratoire ont déclaré que la plupart des aspects du Mini-Lab étaient faciles à utiliser ; après trois mois d’expérience, ils ont déclaré que la préparation, l’identification et la lecture de l’antibiogramme étaient simples. L'évaluation des compétences des techniciens de de laboratoire après la formation initiale a donné des résultats très élevés (>90%) et 100% après 3 mois. Les performances du Mini-Lab, sont globalement très bonnes et aucun dysfonctionnement majeur empêchant son déploiement n’a été mis en évidence.
Depuis le Mini-Lab a d’ailleurs été déployé à Aweil, au Soudan du Sud, en avril 2022.
Antibiotiques et traitement de la malnutrition aiguë sévère
Epicentre a également évalué l'effet de l'utilisation d'antibiotiques pour le traitement de la malnutrition sévère sans complication. Les résultats du traitement de 1 776 enfants atteints de malnutrition sévère ayant reçu des antibiotiques uniquement sur indication clinique ont été comparés à ceux de 6 185 enfants atteints de malnutrition qui ont reçu systématiquement de l'amoxicilline lors de leur admission dans le programme nutritionnel. Aucune différence dans le taux de récupération nutritionnelle n’a été observée entre les groupes. Tout porte à croire que l'utilisation systématique d'une antibiothérapie dans le traitement de la malnutrition est inutile et peut en revanche favoriser l'émergence de résistances.
Un essai en double aveugle - avec un groupe de contrôle utilisant l'amoxicilline en routine pour la malnutrition aiguë sévère sans complication chez les enfants par rapport à un placebo - mené chez 2 412 enfants au Niger, a confirmé cette conclusion. Elle n'a montré aucune différence significative entre les groupes en matière de récupération nutritionnelle après huit semaines. Dans les contextes où les soins de santé primaires sont adéquats, l’usage systématique d'antibiotiques dans les protocoles de traitement de la malnutrition aiguë sévère sans complication pourrait être évité.
Étant donné que la mortalité infantile en milieu hospitalier reste importante, surtout dans les régions à ressources limitées, l'étude Clean Kids visait à évaluer le risque d'infection nosocomiale et de multirésistance chez les enfants hospitalisés souffrant de malnutrition aiguë sévère. L’étude montre que la prévalence des bactériémies d’origine communautaire était d'au moins 9,1 % à l'admission, alors que les infections nosocomiales étaient estimées à 1,2 %. Les infections apparaissent donc comme un facteur important de mortalité chez les enfants hospitalisés atteints de malnutrition sévère. Par ailleurs, la résistance aux antibiotiques de première ligne était fréquente.