Les défis du bon usage des antibiotiques

Vendredi 21 juillet 2023
Antibiorésistance
Introduction
Grâce à un financement du Partenariat mondial pour la recherche et le développement sur les antibiotiques (GARDP)*, Epicentre a mené une étude quantitative et qualitative pour en savoir plus sur l’usage des antibiotiques en pédiatrie dans les pays à ressources limitées, et notamment comment les personnels de santé choisissent leurs prescriptions d’antibiotiques aux enfants. Ils sont confrontés à de nombreux défis quant à la prescription et l'administration d'antibiotiques, résultant de facteurs individuels, institutionnels et économiques.
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Antibiotique Niger
Corps éditorial

Les antibiotiques ont permis tout au long du 20e siècle de faire reculer les maladies d’origine bactérienne. Cette efficacité remarquable a eu pour corolaire le développement massif de leur usage et ce, parfois de façon inappropriée. Cette mauvaise utilisation– traitements trop courts, trop longs ou inadaptées – est l’un des facteurs qui favorisent l’apparition de la résistance aux antimicrobiens. Le continent africain n’est pas épargné par ce problème de santé publique et l'Afrique subsaharienne occidentale est même considérée comme l’une des régions les plus touchées, avec 27,3 décès pour 100 000 personnes, attribuables à la résistance aux antimicrobiens (1). Les infections graves résistantes aux antibiotiques sont responsables d’une mortalité importante des enfants tout particulièrement dans les pays à ressources limitées.

Pratiques de prescription d'antibiotiques au Niger et en Ouganda

Comment les professionnels de santé prescrivent-ils des antibiotiques aux enfants ? Pour le savoir, des épidémiologistes d'Epicentre ont mené une étude rétrospective à méthode mixte - qui vient d'être publiée dans Antimicrobial Resistance & Infection Control - auprès de professionnels de santé au Niger et en Ouganda.

« Nous avons recueilli des données dans 8 hôpitaux et centres de santé en Ouganda et au Niger, explique Grace Mambula, responsable de la pharmacovigilance à Epicentre. Les données quantitatives ont été collectées rétrospectivement sur un échantillon systématique de consultations sur une période d'un an afin d'éviter tout impact saisonnier. Au total, 1 622 enfants en Ouganda et 660 enfants au Niger ayant reçu au moins un antibiotique ont été inclus dans l'étude. En complément, des entretiens et des groupes de discussion ont été organisés avec le personnel de santé et les personnes s'occupant des enfants.»

Le premier constat est plutôt positif puisque 78,2 % des antibiotiques prescrits au Niger et 68 % en Ouganda appartiennent à la catégorie « Access » de la classification « AWaRe » de l’OMS, c'est-à-dire au groupe d'antibiotiques le moins exposé au risque de résistance. Le reste des antibiotiques prescrits fait partie de la catégorie « Watch », soit des antibiotiques recommandés pour des indications spécifiques et limitées et aucun n’appartenait à la 3e catégorie appelée « Reserve » qui correspond aux antibiotiques qui ne doivent être utilisés qu'en dernier recours, lorsque tous les autres antibiotiques ont échoué.

« Ces résultats sont au-delà des recommandations de l’OMS qui préconisent que d’ici 2023, au moins 60 % de tous les antibiotiques consommés proviennent de la catégorie « Access », précise Grace Mambula. Mais ils doivent être replacés dans leur contexte, car selon les professionnels de santé interrogés, les prescriptions ne sont pas toujours respectées et utilisées de manière appropriée ».

Les défis de la prescription

Les problèmes de disponibilité dans les stocks des hôpitaux peut soit pousser le prescripteur à changer d’antibiotiques en cours de traitement, soit nécessiter que les parents l’achètent à leur frais en dehors de l’hôpital, ce qui peut les amener à recourir à un autre antibiotique moins cher voire à écourter le traitement. Comme le rapporte un médecin de Niamey au Niger dans la publication :

« Certaines mères ne peuvent pas payer, vous pouvez lui donner une ordonnance, elle la gardera jusqu'à trois jours sans acheter les produits. [...] Elle vous dira qu'elle n'a même pas assez d'argent pour acheter de la nourriture. C'est notre plus gros problème ; on commence l'antibiothérapie au bout de 2 jours, et on arrête. »

L’étude qualitative fait aussi ressortir que les prescriptions d’antibiotiques découlent plus de leur disponibilité et de leur facilité d’administration que du rationnel thérapeutique.

« Par exemple, lorsque l'administration nécessite l'intervention du personnel de santé, le recours à des antibiotiques plus facilement administrables en termes de fréquence est observé en raison de la pénurie de personnel », explique Grace Mambula.

Par contre il existe une réelle demande de la part des personnels de santé et des parents interrogés pour plus de régulations et des recommandations plus précises quant à l’usage des antibiotiques et cela, à tous les niveaux. Aujourd’hui il est possible de trouver des antibiotiques un peu partout, notamment sur les marchés, ce qui favorise l’automédication et donc le mauvais usage d'antibiotiques. Les parents sont conscients du risque associé à ces médicaments conservés dans des mauvaises conditions et de qualité incertaine.

Des prescriptions essentiellement empiriques

La plupart des prescriptions se fait de manière empirique, sans recourir à des tests microbiologiques qui sont rarement accessibles ou alors trop chers. Or, les personnels de santé dans les deux pays reconnaissent leur manque de connaissance en matière de bonne gestion des antibiotiques, ce qui concoure à l’essor de prescriptions d’antibiotiques à large spectre avec, en cas d’échec, l’ajout d’un nouvel antibiotique, sans tenir compte des risques en termes de résistance. Un phénomène supplémentaire émerge en Ouganda : la pression exercée par les représentants médicaux. Ils pallient l’absence d’informations institutionnelles sur les antibiotiques sur le marché mais en contrepartie influencent les prescripteurs dans leur choix.

Recommandations d'amélioration

Selon le personnel soignant et les parents interrogés, il faut faciliter l'accès et la disponibilité des antibiotiques dans les hôpitaux où, pour des raisons budgétaires ou de mauvaise gestion des stocks, ils ne sont pas toujours disponibles en cas de besoin. Il faut également renforcer la formation des professionnels de santé sur le bon usage des antibiotiques et les risques en cas d’usage inapproprié, mais aussi leur donner les moyens de pouvoir faire un diagnostic précis et donc les bons choix de prescription. Des formulations mieux adaptées aux enfants doivent également être développées pour faciliter leur prise et donc l'observance du traitement.

« Il est urgent d’agir à tous les niveaux pour améliorer le rationnel des prescriptions des antibiotiques et faire attention à ne pas entrer dans un cercle vicieux. Auparavant, le choix des antibiotiques était assez restreint, mais l'augmentation des résistances a conduit à l'introduction de nouveaux traitements dont la mise au point est très longue. Une fois ces nouveaux antibiotiques mis sur le marché, leur utilisation inappropriée augmente le potentiel de développement de la résistance aux antimicrobiens », conclut Grace Mambula.

 

 

* Le Partenariat mondial pour la recherche et le développement sur les antibiotiques (GARDP) est une organisation suisse à but non lucratif qui développe de nouveaux traitements pour les infections résistantes aux antibiotiques qui représentent la plus grande menace pour la santé. Le GARDP a été créé par l'Organisation mondiale de la santé et l'initiative Médicaments pour les maladies négligées en 2016 et légalement fondé en 2018 pour s'assurer que toute personne ayant besoin d'antibiotiques reçoive un traitement efficace et abordable.

 

  1. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. The lancet 2022 Feb 12;399(10325):629-655. doi: 10.1016/S0140-6736(21)02724-0. Epub 2022 Jan 19.

 

crédit photo : Mack Alix Mushitsi
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Practices and challenges related to antibiotic use in paediatric treatment in hospitals and health centres in Niger and Uganda: a mixed methods study.

Référence de l'article: Antimicrobial resistance and infection control 2023 Jul 11; 12(1); . doi: 10.1186/s13756-023-01271-7. Epub 2023 07 11
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