Tuberculose
Parmi les défis à relever figurent le sous-diagnostic, car de nombreuses personnes ignorent qu'elles sont atteintes de la maladie, et l'émergence de formes résistantes aux traitements. Seules deux personnes atteintes de tuberculose pharmacorésistante sur cinq environ ont eu accès au traitement en 2022. Ces dernières années, des progrès majeurs ont été réalisés dans la lutte contre la tuberculose, notamment en proposant des traitements plus courts et plus efficaces pour les formes résistantes, mais des questions demeurent quant à leur utilisation dans les populations les plus vulnérables.
La tuberculose (TB) est due à Mycobacterium tuberculosis, une bactérie qui affecte le plus souvent les poumons. Bien qu’elle puisse en grande partie être évitée et guérie, 10,6 millions de personnes ont contracté la maladie en 2022 et 1,3 million en sont mortes (Rapport mondial sur la tuberculose, Organisation mondial de la Santé - OMS). Près d'un quart de la population mondiale souffre d'une infection tuberculeuse latente et peut développer la maladie ; en Afrique subsaharienne, le fardeau de la tuberculose est principalement dû à l'épidémie de VIH.
On dit que la tuberculose est une maladie de la pauvreté car 95 % des décès qui lui sont imputables surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, et frappent plus particulièrement les enfants, les personnes infectées par le VIH, les personnes souffrant de malnutrition et les détenus. L'explication donnée à cette situation serait un accès insuffisant à un diagnostic et à un traitement adéquat ou des résultats insuffisants avec le traitement proposé. En outre, l'émergence d'une résistance à deux des principaux médicaments antituberculeux, l'isoniazide et la rifampicine, qui a fait apparaître la tuberculose multirésistante (MDRTB), constitue un problème majeur pour la lutte contre la tuberculose.
Est-ce que les nouveaux traitements sont efficaces chez les populations vulnérables ?
Des progrès ont été réalisés ces dernières années dans le diagnostic et le traitement de la tuberculose, mais les nouveaux tests et schémas thérapeutiques n'ont pas tous fait l’objet d’évaluations auprès des populations susceptibles d’en bénéficier le plus. Epicentre travaille avec Médecins Sans Frontières (MSF) pour mesurer l'importance de la maladie chez les populations vulnérables et évaluer la mise en œuvre de nouveaux médicaments, de nouveaux protocoles, de nouveaux tests diagnostique, et de nouvelles stratégies de prise en charge.
Un diagnostic toujours difficile
Le diagnostic de la tuberculose reste un défi dans les contextes où les ressources sont limitées, en particulier chez les enfants et les patients infectés par le VIH à un stade avancé.
Epicentre a mené plusieurs études observationnelles sur la précision, la valeur diagnostique, le rapport coût-efficacité et la faisabilité de l'utilisation du test de dépistage urinaire Determine TB-LAM (commercialisé par Alere/Abbott), chez des patients infectés par le VIH au Kenya, au Mozambique, au Malawi et en RDC. Le même test a également été évalué chez des enfants souffrant de malnutrition sévère au Niger et chez des enfants gravement malades en Ouganda. Le test s'est avéré avoir une sensibilité modeste, mais une valeur diagnostique importante pour la tuberculose chez les patients séropositifs. Il est également possible de le mettre en œuvre dans des environnements à faibles ressources et à un coût abordable.
Epicentre a aussi mené une étude pour évaluer un nouveau test urinaire TB-LAM (non encore commercialisé), le FujiLAM, chez des adultes séropositifs. Financée par l'Agence nationale française de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et MSF, l'étude s'est déroulé dans quatre sites à forte prévalence du VIH et de tuberculose : Ouganda, Kenya, Mozambique et Afrique du Sud. Les résultats indiquent une sensibilité élevée du test FujiLAM chez les patients tuberculeux séropositifs, supérieure à celle observée avec le test Determine TB-LAM, actuellement recommandé. Le test FujiLAM est également facile à mettre en œuvre et bien accepté par les utilisateurs et par les patients.
Les algorithmes de décision thérapeutique, un espoir pour le diagnostic de la tuberculose chez les enfants.
Il n’existe pas à ce jour de tests de diagnostic simples, fiables, peu onéreux et facilement accessible pour détecter la tuberculose chez les enfants. Les outils diagnostiques disponibles sont insuffisants, et rarement intégrés au niveau des soins de santé primaires, où la plupart des enfants atteints de tuberculose se font soigner. En conséquence, les enfants sont souvent diagnostiqués très tard et pour ceux qui sont les plus exposés aux formes les plus graves de la tuberculose, ces retards sont souvent fatals, alors que tous les médicaments antituberculeux approuvés pour une utilisation chez les enfants sont désormais disponibles dans des formulations pédiatriques.
Cette situation pourrait connaître un changement majeur grâce à l'intégration des nouvelles recommandations de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), incluant notamment des nouveaux algorithmes de décision de traitement et des stratégies thérapeutiques plus courtes. Une des grandes forces de ces algorithmes réside dans leur capacité à être déployés dans des contextes dépourvus d'outils diagnostiques spécialisés, par des équipes non spécialisées, et au plus proche des patients.
Lancé fin 2023 par MSF, le projet TACTiC - Test, Avoid, Cure TB in Children - prévoit la mise en œuvre de ces recommandations dans 12 pays d’Afrique et d’Asie. Ces algorithmes, bien que relativement simples et ne nécessitant pas d'analyses de laboratoire complexes, demeurent largement sous-utilisés et n'ont pas encore été évalués. Le projet TACTiC comprend donc un volet de recherche opérationnelle piloté par Epicentre, comprenant une étude diagnostique multi-pays pour évaluer la performance de ces algorithmes et une étude de méthodes mixtes pour évaluer la performance de ces algorithmes. Ces études se déroulent dans 5 pays aux contextes de soins pédiatriques distincts :
- Maiduguri au Nigeria depuis août 2023,
- Madarounfa au Niger et Conakry en Guinée depuis septembre 2023,
- Malakal au Soudan du Sud et et Mbarara en Ouganda depuis octobre 2023.
Simplifier le diagnostic grâce à l’imagerie
Les pays où la prévalence de la tuberculose est élevée sont souvent assez dépourvus en appareils de radiographies en raison de leur coût et du besoin de personnel formé à leur utilisation et à l’interprétation des images, ce qui freine d’autant le diagnostic de la tuberculose. En Papouasie Nouvelle Guinée, une étude prospective compare les résultats obtenus par un appareil d'échographie portable, à coût abordable par rapport à la radiographie pulmonaire, dans le diagnostic de la tuberculose pulmonaire chez des personnes de 15 ans et plus avec une présomption de tuberculose qui sont adressées pour diagnostic à la clinique de MSF dans l'hôpital général de Gerehu. A Manille aux Philippines, Epicentre évalue si la mise en œuvre et l'utilisation de la radiographie pulmonaire assistée par un algorithme d'intelligence artificielle pour interpréter les images est possible et acceptable.
De nouvelle approches thérapeutiques
TB-speed : diagnostiquer pour stopper la tuberculose chez l'enfant
Le centre de Mbarara a été fortement impliqué dans le consortium TB-Speed mené par l’IRD et l’université de Bordeaux sur la prise en charge de la tuberculose pédiatrique et l’amélioration du dépistage précoce. Cette étude a notamment permis de montrer la faisabilité de la détection de la tuberculose chez les enfants hospitalisés pour une pneumonie sévère, la bonne performance d'une méthode simplifiée de préparation des échantillons de selles pour le diagnostic moléculaire de la tuberculose, l’évaluation des algorithmes de diagnostic pour guider les décisions de traitement rapide chez les enfants vulnérables vivant avec le VIH ou souffrant de malnutrition sévère aigüe et la faisabilité de la décentralisation des soins au niveau communautaire. Les résultats de l’étude TB-Speed plaident notamment en faveur d'une utilisation plus systématique du test rapide Xpert Ultra chez ces enfants, notamment chez ceux souffrant de malnutrition aiguë sévère.
Datura : un traitement plus intense chez les patients séropositifs atteints de tuberculose
Financé par l'EDCTP et l'ANRS, l'essai DATURA - Determination of Adequate Tuberculosis Regimen in Adults and adolescents hospitalized with HIV-associated severe immune suppression - vise à évaluer si un traitement initial plus intensif de la tuberculose, consistant en une augmentation des doses des principaux antibiotiques utilisés, la rifampicine et l'isoniazide, plus des corticostéroïdes, augmente les chances de survie des adultes et adolescents hospitalisés co-infectés par le VIH et la tuberculose, par rapport au traitement standard de la tuberculose. Le centre de recherche de Mbarara est l'un des sites de l'étude.
Identifier les cas contacts pour mieux prévenir
Le centre de Mbarara a également participé à l'étude CONTACT coordonnée par l’IRD qui fait partie du projet CaP-Tuberculosis (TB) de la Fondation Elizabeth Glaser pour le VIH-SIDA pédiatrique (EGPAF), financé par l’organisation de santé mondiale Unitaid.
C’est le premier essai randomisé contrôlé en grappe à avoir évalué une intervention des agents de santé communautaires au sein des ménages dans le dépistage et le traitement préventif de la tuberculose chez les enfants contact.
L’étude a comparé l’efficacité, la faisabilité et le coût-efficacité de ce type d’intervention en comparaison avec les soins classiques, procurés dans les centres de santé. L’étude, menée au Cameroun et en Ouganda, montre que le dépistage et traitement préventif des cas contacts, par les agents de santé communautaires au sein des ménages, augmentent la couverture du dépistage, ainsi que l’initiation et l’achèvement du traitement préventif chez les enfants contact de moins de 5 ans ou de 5 à 14 ans vivant avec le VIH. La proportion d’enfants contacts (de moins de 14 ans) ayant fait l'objet d'un dépistage de la tuberculose est ainsi passée de 47,3 % dans le groupe de soins standard à 81,9 % dans le groupe d'intervention. La proportion d’enfants, dans le groupe ciblé pour le traitement préventif, ayant commencé et terminé le traitement, est passée de 61,7 % dans le groupe standard à 79,9 % dans le groupe d'intervention.
L'intervention a permis d'éviter 15 décès dus à la tuberculose au Cameroun et 10 en Ouganda. Le rapport coût-efficacité différentiel était de 620 $ par an au Cameroun et de 970$ en Ouganda.
L’étude CONTACT confirme que confier aux agents de santé communautaires le dépistage et traitement préventif de la tuberculose des cas contacts au sein des ménages est faisable et efficace pour améliorer la couverture du dépistage et du traitement préventif de la maladie.
Endiguer la progression de la tuberculose multirésistante
L'émergence de résistance aux médicaments antituberculeux constitue une menace mondiale pour la lutte contre la tuberculose. Des résistances à un ou plusieurs antibiotiques sont déjà observées et, plus inquiétant, de plus en plus de souches multirésistantes, c'est-à-dire devenues insensibles à plusieurs médicaments, dont les deux plus efficaces (isoniazide et rifampicine), apparaissent.
En 2022, selon l'OMS, 410 000 personnes ont développé une tuberculose multirésistante ou résistante à la rifampicine, le médicament de première intention le plus efficace.
Malgré des progrès, l’échec thérapeutique pour les personnes diagnostiquées avec une forme résistante reste élevé : À l’échelle mondiale, en 2020, le taux de succès thérapeutique était de 63 %, contre 60 % en 2019 et 50 % en 2012.
Jusqu’à récemment, les traitements actuels de la tuberculose multirésistante pouvaient durer jusqu'à 24 mois.Ils sont souvent accompagnés d'effets secondaires importants. Pour certains patients, ils entraînent l'ingestion de 14 000 comprimés et des injections quotidiennes douloureuses pendant des mois. Le coût, la difficulté et la durée de ces traitements les rendent difficiles à mettre en œuvre.
Ces deux dernières années des avancées notables ont été réalisées grâce notamment à deux études pilotées par MSF. La première a montré que le régime BPaLM, un traitement oral de six mois combinant bédaquiline, prétomanide, à des médicaments plus anciens, le linézolide et la moxifloxacine, avaient un taux de guérison de 89 % lors de l'essai TB-PRACTECAL. Reconnaissant ses nombreux avantages - très efficace, plus court, sans injection, moins toxique, avec des options pour tous - l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande désormais le BPaLM comme traitement de première intention pour la tuberculose multirésistante chez les personnes âgées de plus de 14 ans.
EndTB : des traitements plus courts, moins toxiques et plus efficaces pour la "tuberculose multirésistante" (MDR-TB).
L'autre étude, EndTB, est un vaste projet qui s'est déroulé dans 17 pays et auquel ont participé Partners In Health, Médecins Sans Frontières, Interactive Research & Development. Financé par UNITAID, il s'articule autour d'une étude observationnelle et de 2 essais cliniques sposorisés par MSF et dans lesquels Epicentre, la Harvard Medical School et l'Institut de médecine tropicale d'Anvers sont impliqués.
Il a permis la mise au point de trois nouveaux schémas thérapeutiques tout aussi efficaces et sûrs que les traitements conventionnels tout en réduisant de jusqu’à deux tiers la durée du traitement pour les patients souffrant de tuberculose multirésistante.
Les schémas 1, 2 et 3 ont obtenu des résultats favorables chez respectivement 89,0 %, 90,4 % et 85,2 % des participants. Les schémas endTB offrent des options thérapeutiques, y compris pour les enfants de moins de 14 ans et les femmes enceintes pour lesquelles le prétomanide n'est pas recommandé. En Aout 2024, Les résultats de l’essai endTB ont conduit l’OMS à déclarer, pour la première fois, que des données probantes l’encouragent à recommander des schémas thérapeutiques plus courts pour de nouveaux groupes de populations comme les enfants, les adolescents, les femmes enceintes et allaitantes. Ces groupes ont toujours été exclus des innovations thérapeutiques ou n'y ont eu accès que tardivement.
De plus, l'essai a mis au jour un quatrième schéma thérapeutique comme alternative pour les personnes ne tolérant pas la bédaquiline ou le linézolide. Au moins l'un de ces deux médicaments figure dans tous les schémas thérapeutiques actuellement recommandés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour traiter la TB‐MR.
L'étude observationnelle dont Helena Huerga, épidémiologiste à Epicentre, est l'une des investigatrices principales vise, quant à elle, à recueillir des données sur la sécurité et l'efficacité des protocoles utilisant les médicaments autorisés depuis 2012 et 2013, respectivement, la bédaquiline et le delamanid, pour la tuberculose multirésistante. Les résultats intermédiaires montrent que ces deux molécules sont plus sûres que les médicaments actuellement utilisés et suggèrent une meilleure réponse au traitement des formes résistantes de la tuberculose. Cependant, ces résultats ne sont pas homogènes selon les pays.