Ebola : nous sommes mieux préparés à répondre à une épidémie
Longtemps restreinte à des contextes éloignés et isolés, en 2014, une épidémie survenue dans une région forestière rurale de Guinée s'est propagée au Liberia et à la Sierra Leone voisins, pour finalement toucher des zones urbaines densément peuplées. Avec au moins 30 000 cas et 11 000 décès signalés, cette épidémie en Afrique de l'Ouest constitue la plus grande épidémie d'Ebola de l'histoire, causant plus de cas et de décès que toutes les autres réunies. La deuxième plus grande épidémie s'est produite en 2018 en RDC, avec près de 3 500 cas et 2 300 décès signalés. La RDC a connu plus d'épidémies que tout autre pays : leurs 8e, 9e, 10e, 11e, 12e et 13e épidémies ayant eu lieu en l'espace de cinq ans.
Au cours des dernières années, malgré les multiples épidémies survenues dans des zones en proie à des crises humanitaires liées à l'insécurité chronique, aux conflits armés et à l'instabilité politique, le développement de nouveaux outils a permis d'améliorer le suivi épidémiologique et clinique. En outre, ces approches innovantes ont favorisé l’émergence d’avancées scientifiques significatives dans la connaissance clinique de la maladie, la prévention, le traitement et les modèles de soins. Ce dossier vous invite à découvrir les expériences acquises par Epicentre sur les épidémies d’Ebola au sein des programmes MSF ainsi que l’essor de nouvelles approches préventives et thérapeutiques.
Partie 1 : Soutien d'Epicentre aux programmes de MSF et de ses partenaires : expertise technique, ressources pour le suivi épidémiologique et clinique, et innovations
Coordination et soutien des activités épidémiologiques
Au cours des récentes épidémies d'Ebola, alors que divers acteurs et sections MSF intervenaient dans des contextes complexes et en constante évolution couvrant des zones diverses et géographiquement dispersées, Epicentre a contribué à la coordination et au soutien des activités épidémiologiques. Il a notamment accompagné par son expertise technique les épidémiologistes de MSF et de ses partenaires déployés sur le terrain. Dans ce cadre, Epicentre a contribué à une unité spéciale en RDC dédiée au soutien de la gestion des données, du contrôle qualité, des analyses et des rapports pour répondre aux questions opérationnelles clés.
Fin 2022, l’Ouganda a été confronté à une épidémie d’Ebola de la souche Soudan. Les épidémiologistes d’Epicentre ont collaboré aux activités de surveillance, documenté les cas et leurs contacts pour assurer une compréhension globale de l’épidémie, recueilli des données qualitatives pour comprendre le contexte social dans lequel s’inscrit l’épidémie et adapter la réponse. Bien qu'elle ait été rapidement maîtrisée, cette épidémie a révélé à la fois des approches réussies et des défis qui restent à relever qui devraient aider à la préparation aux futures épidémies.
Ressources pour le suivi épidémiologique et clinique
Pendant la 10e épidémie d'Ebola en RDC, Epicentre a développé de nouveaux outils pour faciliter la coordination globale et le soutien aux activités épidémiologiques. Ces outils comprennent :
- Des outils de suivi (bases de données et registres) pour collecter systématiquement les données des patients,
- Des rapports automatisés pour une communication plus efficace, et
- Une plateforme web pour afficher visuellement, à travers des graphiques et des tableaux, les données sur la gestion des cas et l'évolution de l'épidémie, accessible à tous les partenaires grâce à un accès sécurisé.
En outre, Epicentre a joué un rôle de premier plan dans un processus alternatif de normalisation, de centralisation, d'harmonisation et de compilation des données sur les patients et ce, afin d'améliorer la gestion de l'épidémie. Pour la première fois dans une épidémie d'une telle ampleur, le même outil de surveillance a été utilisé sur tous les sites, permettant le recueil de données combinées et complètes dans les établissements de santé Ebola. Une exportation de l’ensemble de ces données a été partagée chaque semaine avec le ministère de la santé de la RDC et ainsi a généré des indicateurs de performance clés pour la plateforme web Epicentre et dans les rapports situationnels.
En plus l’enregistrement des données des patients lors de leur admission, Epicentre a également numérisé les données cliniques détaillées sur les patients diagnostiqués positifs au virus Ebola pendant leur hospitalisation dans tous les établissements de santé Ebola. Cette base de données cliniques a référencé les signes et les symptômes, les paramètres biochimiques, les valeurs seuils des cycles et les traitements prescrits. L'objectif était d'identifier les indicateurs et les signes de détérioration chez les patients afin de permettre aux cliniciens de proposer une réponse précoce et adaptée et ainsi faciliter la prise en charge et à sauver davantage de vies.
Innovation : Modèle de soins décentralisé
Malgré la recherche active de cas et une définition très précise des cas suspects, la détection précoce des cas constituait l’un des défis des récentes épidémies d'Ebola, les patients atteints d'Ebola accédant tardivement aux soins ou mourant dans la communauté sans jamais avoir au accès à des soins. Pour les personnes porteuses d’Ebola, un jour de retard dans la prise en charge peut largement compromettre les chances de survie.
Lors de la réponse initiale à la 10e épidémie en RDC, deux types de structures de santé ont été construites dans les grandes villes, parallèlement au système médical existant :
- Les centres de transit où les patients diagnostiqués Ebola positifs étaient ensuite transférés vers des centres de traitement.
- Centres de traitement où les patients recevaient leur traitement Ebola.
Dans les deux types de centres, les patients testés négatifs pour Ebola étaient renvoyés chez eux si leur état de santé s'était amélioré depuis leur admission ou transférés à l'hôpital s'ils avaient besoin de soins médicaux supplémentaires.
La réticence de la population à se rendre dans ces centres est l'un des facteurs, à l’origine du délai entre l'apparition des symptômes et une prise en charge adaptée. En outre, même si le personnel de tous les types d'établissements de santé était censé être formé et équipé pour prévenir et contrôler la propagation des infections, les établissements de santé non spécialisés dans la prise en charge d'Ebola ont souvent eu recours à des mesures de contrôle de l'infection inadéquates, entraînant des expositions à Ebola.
Face à ces constats, MSF et ALIMA ont initié une stratégie de décentralisation des soins, à laquelle Epicentre a apporté son soutien à travers la collecte et l'analyse de données.
Différents des centres de transit, les centres décentralisés étaient des unités d'isolement situées dans les locaux de centres de santé ou d'hôpitaux locaux très fréquentés. Les centres décentralisés accueillent les personnes suspectées d'être atteintes d'Ebola, ce qui leur permet de rester dans les locaux du centre de santé ou de l'hôpital où elles étaient soignées. L'isolement était ainsi mieux accepté par les patients, et ne nécessitait pas le recours à une ambulance pour transporter un patient suspecté d'Ebola vers un centre de traitement/transit Ebola pour y subir des tests. En outre, cela a permis aux patients d'être soignés dans un cadre qui leur était familier en attendant le résultat du test Ebola. Si le test de dépistage d'Ebola était négatif, le patient quittait l'isolement pour poursuivre son traitement. Si le test Ebola était positif, le patient se voyait proposer un transfert vers un centre de traitement Ebola.
La stratégie décentralisée visait en définitive à améliorer l’accès des patients à un diagnostic précoce, au traitement de toutes les maladies et à réduire le risque de transmission d'Ebola dans la communauté grâce à l'isolement précoce des cas.
Epicentre a analysé les données de 12 centres de traitement, 9 centres de transit et 21 centres décentralisés pour évaluer si le modèle de soins décentralisé facilitait la détection précoce et l'admission des cas. Les résultats étaient encourageants.
"Le délai entre l'apparition des symptômes et l'admission dans les centres décentralisés était plus court que celui observé dans les deux autres types de centres, tant pour les patients Ebola positifs que négatifs, et aucun désavantage n'a été observé pour les patients admis en premier dans un centre décentralisé en termes de risque de décès. L'isolement plus précoce des cas suspects peut également être bénéfique pour les autres en réduisant le risque de transmission d'Ebola", déclare Rebecca Coulborn, épidémiologiste à Epicentre.
IInnovation : Un algorithme pour prédire la probabilité d’avoir contracté Ebola
Sur plus de 60 000 admissions dans un centre de soins Ebola au cours de la 10e épidémie en RDC, 4 % ont été testés positifs au virus Ebola. Comme le protocole de test exigeait deux tests PCR à 48 heures d'intervalle, les patients restaient au moins trois jours dans un centre de santé Ebola après leur admission. Pour alléger la charge que cela représente pour les patients et les établissements de santé Ebola, Epicentre a développé et évalué la performance et la faisabilité d'un algorithme de triage. L'outil a évalué les manifestations cliniques d'Ebola, telles que le saignement des gencives, la toux et la diarrhée, ainsi que les expositions potentielles des patients à Ebola, afin d'identifier les facteurs prédictifs les plus importants de l'infection à Ebola.
Les évaluations ont montré que cet algorithme était un outil efficace et facile à utiliser, permettant de classer les patients en catégories de risque élevé, moyen et faible, ce qui ouvre vers de des applications potentielles prometteuses pour cet outil, à savoir :
- Le dépistage prioritaire pour les patients à haut risque d’avoir contracté Ebola,
- L’administration plus précoce d’un traitement approprié (pour les patients Ebola-positifs et Ebola-négatifs),
- La réduction du risque d'une éventuelle transmission d'Ebola pendant l'isolement, et
- Des stratégies de gestion de cas adaptées au risque du patient.
Travail en cours pour capitaliser sur les acquis et partager les pratiques
Les enseignements tirés des épidémies précédentes permettent d'améliorer la gestion des réponses futures.
Développement d'un score de gravité spécifique à Ebola
Début mars 2021, Epicentre a organisé la première réunion d'un groupe de travail composé du Ministère de la Santé de la RDC, de MSF et de divers partenaires impliqués dans la prise en charge des patients atteints d'Ebola lors des récentes épidémies.
À l'aide des données cliniques compilées par Epicentre lors de la 10e épidémie d'Ebola en RDC, le groupe de travail a classé et priorisé les questions cliniques essentielles auxquelles répondre. La prochaine étape portera sur le développement d'un score de gravité spécifique à Ebola pour aider les cliniciens à identifier précocement les patients présentant un risque d’aggravation afin d'éviter leur décès.
En outre, en comparant les effets et les résultats des différents soins de support utilisés historiquement, la base de données cliniques peut faciliter leur choix par le clinicien et améliorer le suivi et l'ajustement de ces interventions (par exemple, le ratio de fluides intraveineux et de vasopresseurs administrés à un patient). La mise en œuvre de la base de données cliniques en temps réel lors de futures épidémies offrira la possibilité d'améliorer encore la prise en charge des patients.
Partie 2 : Traitements, vaccins
Deux traitements qui, administrés précocement, réduisent les décès dus au virus Ebola
Lors de la 10e épidémie d'Ebola en RDC, un essai clinique appelé PALM a été mené pour comparer l'efficacité de quatre thérapies expérimentales. Il a inclus des patients de tous âges diagnostiqués positifs au virus Ebola par PCR. Les résultats de cet essai publiés en décembre 2019 dans le NEJM, montrent que les patients traités avec les traitements REGN-EB3 et mAb114 avaient un taux de survie d'environ 65% contre 33% pour l'ensemble de l'épidémie.
Lorsque ces traitements étaient administrés à des personnes ayant une faible charge virale, c'est-à-dire n'ayant pas encore atteint un stade grave de la maladie, la mortalité chutait à environ 10%.
Pour en savoir plus, lire la publication A Randomized, Controlled Trial of Ebola Virus Disease Therapeutics.
Ces deux anticorps monoclonaux (Inmazeb et Ebanga) ont été approuvés par la Food and Drug Administration américaine fin 2020 pour le traitement de l'infection à Ebola chez les adultes et les enfants. Les prochaines étapes consisteront à évaluer l’efficacité de ces anticorps monoclonaux lors d’une administration plus précoce au cours de l'infection.
Vaccination
Vacciner les personnes les plus exposées au risque d'infection
Depuis octobre 2018, le Groupe consultatif stratégique d'experts (SAGE) sur la vaccination recommande l'utilisation du vaccin rVSVΔG-ZEBOV-GP, fabriqué par Merck et préqualifié par l'OMS, lors des épidémies de maladie à virus Ebola. Il peut être utilisé dans le cadre d'une stratégie de vaccination en anneau, qui consiste à vacciner les contacts, les contacts des contacts et les agents de santé pour arrêter la propagation de l'épidémie.
L'efficacité de cette approche a été démontrée lors de l'épidémie qui a sévi en Afrique de l'Ouest entre 2013 et 2016 au cours d'un essai clinique de phase 3. Cet essai a évalué l'efficacité d'une dose intramusculaire unique de rVSVΔG-ZEBOV-GP dans la prévention de la maladie à virus Ebola confirmée en laboratoire. Ce vaccin a été bien toléré chez les personnes vaccinées et a produit une réponse immunitaire rapide après une dose unique.
L’analyse de données collectées lors la 10e épidémie en RDC a permis d’évaluer à large échelle et en dehors d’un essai clinique l’efficacité de ce vaccin. En collaboration avec l'Institut National de Recherche Biomédicale (INRB) et le ministère de la Santé Publique de la République Démocratique du Congo (RDC), cette étude test-négatif a comparé les taux de positivité au test PCR Ebola entre personnes vaccinées et non-vaccinées. Il a ainsi pu être établie qu’au bout de dix jours, la vaccination diminue de 84% le risque de développer la maladie. Une étude observationnelle a, quant à elle, montré pour la première fois que la vaccination permet de diminuer de moitié la mortalité chez les personnes infectées par Ebola.
De plus, en janvier 2021, l'UNICEF, l'OMS, la FICR et MSF ont annoncé la création d'un stock mondial de ce vaccin injectable à dose unique pour permettre aux pays, avec le soutien des organisations humanitaires, de contenir les futures épidémies de maladie à virus Ebola en s'assurant l’accès rapide des populations à risque aux vaccins en cas de flambée.
En parallèle, des études se poursuivent pour évaluer la durée de la protection offerte par ce vaccin.
Un 2e vaccin recommandé par l'OMS
En réponse aux risques majeurs que représente la maladie à virus Ebola, le vaccin Ebola à deux doses développé par Johnson & Johnson, composé de Zabdeno® (Ad26.ZEBOV) et de Mvabea® (MVA-BN-Filo), a reçu l'approbation de l'Agence européenne des médicaments (EMA) et a été recommandé par l'OMS. Depuis juin 2021, le SAGE recommande son utilisation à la fois pendant les épidémies pour les personnes présentant un certain risque d'exposition à Ebola, et à titre préventif, avant les épidémies, pour les premiers intervenants nationaux et internationaux. Il est administré en deux doses : l'intervalle entre les deux doses est actuellement à l'étude.
Ce second vaccin contre Ebola constitue un outil supplémentaire pour prévenir la propagation des épidémies et protéger les populations avant que les épidémies n'atteignent les zones à haut risque.
Epicentre a participé à deux études sur ce vaccin :
- L'une en Ouganda dans la région de Mbarara depuis l'été 2019 : L'essai a inclus 800 professionnels de santé et personnels en première ligne en cas d'épidémie, tels que les nettoyeurs, les ambulanciers, les équipes de morgue et d'enterrement. L'objectif était d'évaluer l'immunogénicité.
- L'autre en RDC : Cette étude visait à accumuler des données supplémentaires sur la sécurité, l'efficacité et l'immunogénicité dans une population à haut risque. Un schéma vaccinal prophylactique à deux doses Ad26.ZEBOV, MVA-BN-Filo s'est avéré acceptable, bien toléré et sûr pour les adultes, les enfants et les femmes enceintes. En outre la prise des deux doses a été élevée et il peut donc être administré dans les régions touchées par des épidémies d’Ebola.
Cette étude devrait également fournir des informations sur l'administration d'une 2ème dose retardée (plus de 56 jours).