Ebola en Ouganda : "Nous ne saurons jamais tout de l’énigme épidémiologique".
Alors que les équipes MSF restent mobilisées et apportent leur soutien au ministère de la Santé ougandais dans des centres de traitement de la maladie, et au travers d’activités de promotion de la santé et de prévention des infections. Denis Ardiet, épidémiologiste à Epicentre, coordonne une équipe de sept personnes qui participent à la lutte contre cette épidémie d’Ebola. Il fait le point sur la situation.
Quelle sont les grandes tendances de l'épidémie en Ouganda ?
Denis Ardiet : nous avons observé deux pics importants dans l'épidémie. Le premier a eu lieu en septembre dans le district de Mubende, qui a été le premier épicentre de cette épidémie, puis un autre a suivi dans le district voisin de Kassanda. Si les cas recensés dans ces deux districts représentent à eux seuls 80 % de tous les cas détectés jusqu'à présent, neuf districts du pays ont été touchés. Historiquement, il s'agit de la plus importante propagation géographique d'Ebola à laquelle l'Ouganda ait été confronté.
Après une forte augmentation du nombre de cas en octobre (86 cas en 4 semaines), on note un ralentissement ces dernières semaines (14 cas en 4 semaines en novembre). Nous sommes toutefois très préoccupés car plusieurs cas n’étaient liés à aucune chaîne de transmission connue, ce qui laisse présumer qu’ils ont été contaminés par une source inconnue. La réponse n'a donc pas été adéquate notamment en ce qui concerne la recherche des contacts et le suivi. Deux nouveaux districts ont donc été touchés, Masaka et Jinja.
Le suivi des contacts des cas est extrêmement important pour contrôler une épidémie. Lorsque nous sommes en mesure d'identifier à temps toutes les cas contact, nous pouvons surveiller leur santé et les aider à se faire soigner rapidement dans le bon établissement de santé s’ils développent des symptômes liés à Ebola. Pourtant, d'après les données du ministère de la santé, seuls 64 % des cas contacts ont fait l'objet d'un suivi initial, ce qui révèle des lacunes dans cette étape cruciale de la réponse. Si la tendance est plutôt positive, nous restons préoccupés et vigilants pour la suite.
Quels sont les scénarios envisageables ?
D. A. :Tout est encore possible... un premier scénario serait que la baisse se poursuive et qu’aucun nouveau cas ne soit déclaré. Le deuxième scénario est que de nouveaux cas sporadiques apparaissent, peut-être dans différents districts. Enfin, le troisième scénario consisterait en une augmentation du nombre de nouveaux cas et un nouveau pic de transmission.
Ces scénarios nécessiteront des réponses opérationnelles adaptées de la part des équipes MSF et des équipes du ministère de la Santé, avec lesquelles nous travaillons en étroite collaboration. Nous nous appuyons beaucoup sur leurs données, d'autant plus que nous n'effectuons pas nos propres analyses de laboratoire, ni nos propres enquêtes sur les cas. Ensemble, nous travaillons sur des actions de surveillance sanitaire majeures pour la réponse.
La manière dont MSF accompagne les autorités sanitaires ougandaises dépend des besoins. Nous devons évaluer ce qui a le plus de sens pour par exemple déployer une équipe de réponse rapide à plus petite échelle ou mettre en place une approche plus communautaire, plus proche de l'endroit où vivent les patients, plutôt que des centres de traitement de grande taille dans les districts.
Il est également essentiel de veiller à ce que les soins pour les autres pathologies se poursuivent dans les zones touchées et notamment la prise en charge du paludisme et cela, d’autant plus que les symptômes précoces d'Ebola et du paludisme sont très similaires. Nous aidons le ministère de la Santé à renforcer les capacités de détection et d'isolement des cas dans les établissements de santé existants afin qu'ils puissent réagir rapidement à toute nouvelle alerte ou à tout nouveau cas et réduire rapidement les risques d'une propagation. Du côté des communautés, le ministère de la santé continue la surveillance sanitaire pour s'assurer qu'il n'y a pas de transmission en cours. Tous ces efforts doivent être maintenus jusqu'à ce que l'épidémie soit officiellement déclarée terminée, soit après une période de 42 jours sans nouveaux cas, ce qui correspond à deux fois la période d'incubation du virus Ebola.
Il est toujours difficile de prévoir la fin d'une épidémie car on est face à l'inconnu. Nous ne saurons jamais tout de l’énigme épidémiologique et nous ne pouvons que recueillir le maximum d'informations pertinentes. Nous sommes conscients de la situation épidémiologique et nous constatons que la courbe épidémique a baissé, ce qui est une bonne chose. Mais derrière cette courbe, il peut y avoir des événements et des informations que nous ne connaissons pas - et c'est ce qui est difficile à découvrir. Quoi qu'il en soit, nous devons être prêts et réactifs pour répondre à toute alerte ou nouveau cas.
Une diminution rapide des cas est-elle inhabituelle dans les épidémies d'Ebola ?
D. A. :Elle n'est pas vraiment inhabituelle puisqu'elle a été observée lors d'autres épidémies, même si elle reste surprenante compte tenu de toutes les inconnues qui demeurent. Une telle diminution peut refléter l'arrêt de la transmission grâce à la combinaison de plusieurs facteurs, notamment la réponse à l'épidémie et les actions communautaires. Cette épidémie me rappelle un peu celles de Conakry en Guinée en 2015 ou de Beni en République démocratique du Congo en 2020. Les autorités sanitaires et leurs partenaires, dont MSF, ont également eu des difficultés à suivre tous les cas contacts à l'époque et, malgré des tendances à la baisse, les derniers cas sont apparus sporadiquement pendant quelques mois.
Le faible taux initial de suivi des contacts en Ouganda s'est amélioré au cours des dernières semaines dans plusieurs districts. Bien que ce soit un bon signe, l'adhésion de la communauté au suivi, soit par une mise en quarantaine obligatoire, soit par un isolement à domicile et des appels quotidiens, est au cœur de la réponse. Les activités de promotion de la santé et de sensibilisation des communautés jouent un rôle essentiel pour combler le déficit de confiance et faire en sorte que les gens disposent d'informations suffisantes sur le virus Ebola pour se protéger ainsi que leur communauté, et mieux comprendre les mesures.
Comme dans toute épidémie et le COVID-19 nous l’a rappelé, il y a beaucoup de peur autour de la perspective d’être isolé de sa famille et de ses amis, et envoyé dans une unité de traitement Ebola. La promotion de la santé et l'engagement communautaire permettent de contrer les rumeurs et les craintes tout en soutenant la prévention de la transmission au sein des communautés.
crédit photo Sam Taylor/MSF Patricia Otuka-Karne/MSF