Surveillance du choléra : de la théorie au déploiement des tests rapides
Quels sont les enjeux autour de la surveillance du choléra ?
Wendelin Moser : Chaque année, on dénombre encore 1,3 à 4 millions de cas de choléra et 21 000 à 143 000 décès dus à cette maladie dans le monde. Outre les actions visant à améliorer l'assainissement et l'approvisionnement en eau potable, le groupe spécial mondial de lutte contre le choléra (GTFCC) de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande des campagnes de vaccination préventive dans les régions concernées afin de réduire le risque d'une nouvelle épidémie.
Cependant, l’approvisionnement en vaccins au niveau mondial est limité et la durée d'immunité qu'ils confèrent est courte. Il est donc nécessaire de prioriser les régions où la vaccination doit avoir lieu en se basant sur les incidences du choléra les plus élevées, ce qui nécessite des données de surveillance précises. Or, les systèmes de surveillance actuels souffrent de nombreuses limitations, rendant difficile l’évaluation de la charge réelle du choléra.
Quels sont freins à la surveillance à ce jour ?
WM. : Dans un premier temps il faut correctement identifier les cas de choléra. En situation épidémique, toutes les personnes suspectées d'avoir contracté le choléra ne se révèlent pas positives ; les autres souffrent d'autres maladies diarrhéiques. La méthode de référence pour le diagnostic est la confirmation en laboratoire par culture ou la réaction de polymérase en chaîne (PCR) à partir d’échantillons de selles. Or le manque crucial de laboratoire dans les pays où le choléra est endémique entraîne des délais de confirmation extrêmement longs et la plupart des cas ne sont pas testés.
Ces dernières années, des tests de diagnostic rapide (TDR) ont été mis au point pour faciliter le diagnostic directement sur le lieu de soins, sans avoir besoin de recourir à un laboratoire. Plus simple que la PCR ou la culture qui nécessitent du matériel et du personnel qualifié, les TDR ne requièrent aucune compétence particulière et peuvent être réalisés rapidement et facilement. Ils présentent toutefois des limites en termes de précision des résultats et posent encore un certain nombre de questions : peuvent-ils remplacer le test de référence pour identifier une épidémie de choléra ? Leurs résultats sont-ils suffisants pour estimer l'incidence réelle du choléra dans des zones avec des incidences très différentes ?
Quels sont les principaux objectifs de votre étude ?
W. M. : Notre objectif est de déterminer comment intégrer les TDR à la surveillance de routine du choléra en République démocratique du Congo et au Niger. Nos résultats participeront à l'élaboration de recommandations pour tous les pays touchés par le choléra. L’étude va se dérouler dans 4 aires de santé à Goma, capitale de la province du Nord-Kivu, où l’incidence du choléra est élevée et 4 aires de santé de la région de l’ex-Katanga, dans le sud du pays, et au Niger où l’incidence est moyenne, voire faible. L'étude évaluera les deux TDR les plus couramment utilisés.
Bien qu’ayant déjà fait l’objet d’étude, leur sensibilité* et leur spécificité** par rapport aux méthodes diagnostiques de référence, la PCR ou la culture, seront évaluées de manière poussée en conditions réelles et dans différents contextes endémiques. Nous allons également comparer leur performance avec ou sans enrichissement des échantillons avant analyse. L’enrichissement améliore leur spécificité qui constitue un frein à leur utilisation dans les zones de faible prévalence, mais au prix d'une préparation plus complexe des échantillons.
L’autre point auquel va s’attaquer l’étude est la stratégie d'échantillonnage ou en d’autres termes quels patients devraient être testés par TDR parmi les cas suspects pour pouvoir déterminer l'incidence réelle du choléra. En effet, le dépistage exhaustif de tous les cas suspects de choléra à l'aide des TDR pourrait ne pas être nécessaire pour obtenir une estimation représentative de l'incidence et représenterait une charge financière importante. A cela s’ajoute que la durée de conservation limitée des TDR (environ 18 mois) accroît les difficultés logistiques et nécessite d’étudier le niveau de stockage approprié (centralisé dans la zone de santé ou décentralisé dans les établissements de santé) afin de trouver un compromis entre disponibilité rapide et diminution du gaspillage.
Dans l'étude, nous testerons d'abord tous les cas suspects, ce qui nous permettra d'estimer l'incidence réelle du choléra dans ces zones de santé. Ensuite, à l'aide d'une stimulation statistique, nous déterminerons quelle serait la meilleure stratégie si nous ne testions qu'une partie de tous les patients suspects.
Un autre aspect de l'étude porte sur le potentiel des TDR à remplacer la culture ou la PCR pour identifier les foyers de choléra beaucoup plus rapidement qu'en passant par des laboratoires souvent éloignés. Compte tenu de la précision limitée des TDR, le GTFCC a proposé une méthode où un certain nombre de cas suspects avec un résultat positif au TDR parmi tous les cas testés (par exemple, 3 positifs parmi 3-7 suspects de choléra testés) est suffisant pour identifier un foyer de choléra avec un niveau de confiance élevé.
Quel est l'impact de vos études pour les pays touchés par le choléra ?
WM. : L'objectif principal de l'étude est d’analyser le système de surveillance actuel sur le terrain et trouver des solutions innovantes pour que le ministère de la santé puisse intégrer les TDR sans trop d'efforts dans la surveillance existante du choléra.
Pour étudier la situation réelle et évaluer les faiblesses et les points à améliorer dans la surveillance, l'un des sites de l’étude dans le sud du pays est entièrement géré par le ministère de la Santé. Ce site pilote permet de tester l'utilisation des TDR pour la surveillance en situation réelle avec un minimum d’interférence de l’équipe d’étude. Dans deux zones de santé, des personnes du Bureau central de santé ont été formées à l'utilisation et au déploiement des TDR. Ils ont ensuite formé les infirmières de tous les centres de traitement du choléra (CTC) existants à l'utilisation des TDR et à la communication des résultats. Ce site pilote permettra d'analyser le fonctionnement en pratique : qui utilise le test ? comment les stocks sont-ils gérés ? et enfin comment les informations (nombre de cas, résultats positifs) sont-elles communiquées aux autorités provinciales et nationales ? Chaque système de surveillance étant différent, cette partie de l'étude sera reproduite dans la région de Maradi, au Niger, afin de voir comment elle fonctionne dans un autre contexte.
Une étude qualitative est également prévue dans tous les sites afin de recueillir les témoignages des personnels de santé à tous les niveaux sur la faisabilité et la mise en œuvre de l'utilisation des TDR.
A la fin de l'étude, nous devrions être en mesure d'émettre des recommandations quant à l’usage des TDR et au choix des stratégies d’échantillonnage selon les contextes, ce qui permettra d'améliorer la surveillance de cette maladie dans tous les pays touchés, et de s'assurer que les mesures préventives telles que la vaccination sont mises en œuvre plus rapidement et sur la base d'éléments concrets.
Pour en savoir plus : comment se mesure la performance d’un test diagnostique ?
En comparant les résultats des TDR avec le test de référence, nous pouvons estimer leur sensibilité et leur spécificité, les deux mesures qui définissent la performance d’un test. La *sensibilité est définie comme le nombre de patients correctement identifiés comme positifs pour le choléra parmi tous les patients ayant un résultat positif. De même, la **sensibilité est la capacité d'identifier correctement un patient comme négatif.