Anticiper le risque spatio-temporel des épidémies de rougeole au Niger pour mieux les prévenir et y répondre
La rougeole est la maladie virale la plus contagieuse chez les humains et une cause majeure de décès chez les jeunes enfants. Pour éradiquer cette maladie, il faudrait que 98 % de la population soit vaccinée, un seuil loin d’être atteint dans de nombreux pays. Ainsi, au Niger, la couverture vaccinale nationale chez les jeunes enfants est seulement de 80 % (2), et elle est même inférieure dans certains districts.
En outre, selon les données de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (3), les pénuries de vaccins en cours aux niveaux national et international ont réduit la portée des campagnes de vaccination annuelles. Alors que 974 492 enfants nigériens ont été vaccinés en 2021, seuls 771 172 l'ont été en 2022, soit une baisse de 21 %. Bien que ce nombre soit remonté à 881 109 l'année dernière, 2023 est restée une année épidémique majeure pour la rougeole au Niger, avec 48% des districts touchés, 1 880 cas notifiés et 7 décès signalés (4). Le début de la saison 2024 s'est accompagné d'une forte augmentation du nombre de cas et d'une détérioration continue de la situation humanitaire, ce qui fait craindre à beaucoup que cette saison ne soit encore pire que la précédente.
Mieux comprendre les risques spatio-temporels
Aujourd’hui la stratégie de vaccination contre la rougeole repose sur le programme national de vaccination, destiné aux enfants âgés de 9 et 18 mois. Elle est complétée par des campagnes de rattrapage tous les 2 à 3 ans ciblant les enfants de 6 mois à 5 ans dans les endroits où la couverture vaccinale est considérée comme faible et par des campagnes de vaccination réactives ciblant les enfants de 6 mois à 15 ans dans les zones touchées par des flambées épidémiques. Pour être pleinement efficaces, les campagnes de rattrapage doivent se dérouler dans les endroits où la proportion d'enfants les plus à risque est la plus élevée, ce qui dépend de la couverture vaccinale et de l’historique des épidémies. Or les estimations administratives de la couverture vaccinale sont souvent peu fiables. De plus, les données épidémiologiques souffrent d’une sous-déclaration fréquente et de la qualité hétérogène de la surveillance d’un district à l’autre. Cette fragilité des données épidémiologiques complique les estimations de l'immunité des populations infectées. Elle rend également les épidémies plus difficiles à détecter en temps réel et crée des défis uniques pour les campagnes réactives, dont l'impact est souvent déterminé par la rapidité d'exécution.
« Actuellement, l'efficacité de la lutte contre la rougeole au Niger est fortement compromise par l'absence d'allocation et de stratégie basées sur le risque. Notre projet vise donc à développer une combinaison d’outils d’anticipation, de détection et de prédiction en temps réel pour faciliter les prises de décision du ministère de la Santé publique ou de MSF. Ces outils seront calibrés et évalués à la fois rétrospectivement sur la base de vingt ans de données de surveillance et de vaccination, et prospectivement au cours d'une saison de rougeole. Nous espérons ainsi démontrer la valeur ajoutée de ces méthodes par rapport à celles actuellement utilisées. » explique Ousmane Guindo, responsable du Centre de recherche Epicentre au Niger et co-responsable de l’étude.
L’étude lancée par Epicentre va développer trois outils complémentaires pour les différentes phases de la saison de la rougeole :
- Avant la saison : un modèle statistique pour classer les 72 districts du Niger en fonction de leur risque épidémique, à savoir faible, moyen et haut, fondé sur le nombre de cas signalés rétrospectivement au cours des vingt dernières années, les activités/la couverture vaccinale et tout autre facteur de risque identifié.
- Au début de la saison : un algorithme d'alerte pour identifier, rapidement et de manière fiable, les districts présentant des signes d'une épidémie émergente. Les alertes seront mises à jour chaque semaine et intégrées au tableau de bord de surveillance d'Epicentre au Niger afin d'aider MSF et le ministère de la Santé publique à prendre des décisions opérationnelles.
- Tout au long de la saison : une prédiction hebdomadaire de l’incidence de la rougeole à court terme au niveau des districts, qui permettra d’identifier les tendances et les districts prioritaires pour l’allocation des ressources. Ces prévisions seront disponibles dans le tableau de bord et par le biais de bulletins.
« Ces outils devraient nous permettre de mieux cibler les campagnes de rattrapage, mais aussi d'identifier plus tôt les épidémies émergentes et ainsi améliorer la rapidité de la vaccination réactive. Nous espérons également que ces prévisions aideront MSF à mieux évaluer les besoins lors de la planification des interventions", explique Anton Camacho, responsable de l'équipe Data Science d'Epicentre et codirecteur de l'étude.
Si elle est concluante, cette nouvelle étude vise à fournir une base factuelle pour améliorer la distribution des vaccins, réduire les délais de réponse aux épidémies, faciliter la planification en temps réel et la définition des priorités dans la lutte contre la rougeole au Niger. La dynamique de la rougeole est un défi et chaque pays doit fixer ses propres priorités en matière de réponse aux épidémies et de stratégie de vaccination en fonction de l'épidémiologie locale. Le projet Anticipation Rougeole d’Epicentre vise à fournir une base factuelle pour des stratégies adaptées au contexte nigérien.
© johnny Bissakonou
-
Blake Alexandre, Djibo Ali, Guindo Ousmane and Bharti Nita, 2020. Investigating persistent measles dynamics in Niger and associations with rainfall J. R. Soc. Interface. http://doi.org/10.1098/rsif.2020.0480
-
https://www.gavi.org/fr/programmes-et-impact/espace-pays/afrique/niger
-
https://www.afro.who.int/sites/default/files/2023-05/Rapport%20annuel%202022%20WHO%20Niger%2004052023.pdf
-
https://www.unicef.org/media/152956/file/Niger-2023-COAR.pdf