Euvichol-S : documenter l’efficacité opérationnelle de ce nouveau vaccin oral contre le choléra
Quelle est la situation actuelle vis-à-vis des vaccins contre le choléra ?
Laure Madé: En 2023, Euvichol-plus était devenu le seul vaccin contre le choléra disponible dans le stock mondial de l’OMS, après l’arrêt de la production de Shanchol. Il est utilisé dans les campagnes de vaccination de masse, notamment via le stock mondial géré par l’OMS et Gavi, pour répondre aux épidémies de choléra. Son efficacité est bien documentée : en Zambie, deux doses ont montré une efficacité de 81 %, et de 66 % au Bangladesh, lors de résultats intermédiaires six mois après la vaccination (1).
Cependant, la pénurie mondiale de vaccins contraint les autorités sanitaires à administrer une seule dose lors des campagnes réactives, bien que le schéma recommandé en prévoie deux. En République démocratique du Congo (RDC), une dose unique a offert une protection de près 53 % 12 à 17 mois après la vaccination, mais cette efficacité tombait à 44,7 % entre 24 et 36 mois. Cela montre l’importance de suivre l’évolution de la protection dans le temps (2), et de documenter l’efficacité d’un schéma à dose unique, devenu courant par nécessité. Face à cette situation, l’OMS a préqualifié en 2024 Euvichol-S, une version simplifiée d’Euvichol-Plus, conçue pour accélérer la production et répondre à la demande croissante. Ce vaccin est désormais intégré au stock mondial de vaccins anticholériques oraux. Alors que le vaccin a fait ses preuves dans les essais d'immunogénicité, son efficacité en conditions réelles, notamment en contexte épidémique et en schéma à une dose, reste à documenter — ce que vise précisément la nouvelle étude.
Qu’apporte Euvichol-S par rapport à son prédécesseur ?
Dan Nyehangane : Euvichol-S repose les mêmes souches inactivées de Vibrio cholerae O1 (Inaba et Ogawa) mais sa formulation a été simplifiée : il ne contient que deux composants au lieu de cinq. Cette simplification facilite la production industrielle, réduit les coûts et améliore la disponibilité mondiale — un enjeu majeur en période de forte demande et de pénurie.
Cependant, sa préqualification par l’OMS repose uniquement sur des données d’immunogénicité. D’où la nécessité d’études complémentaires, comme la nôtre, qui vise non seulement à évaluer l’efficacité du vaccin sur le terrain, mais aussi à analyser son impact selon l’âge, le sexe, et sa capacité à prévenir les formes sévères de choléra.
Quels sont les enjeux pour les populations locales ? et pourquoi avoir choisi le Soudan du sud pour l’étude ?
Laure Madé : Le choléra reste une menace majeure dans de nombreux pays. Le Soudan du Sud est confronté à des épidémies régulières de choléra ces dernières années. La dernière en date a été officiellement déclarée le 28 octobre 2024 par le ministère national de la Santé, après l’apparition des premiers cas suspects dans le comté de Renk, situé dans l’État du Nil Supérieur. L’épidémie s’est rapidement propagée à d’autres régions, notamment à Juba, la capitale. Début septembre 2025, le pays comptabilisait plus de 90 000cas répartis dans l’ensemble du pays et 1500 décès.
Face à l’urgence, le ministère de la Santé a lancé lancer une campagne de vaccination dans toutes les zones touchées. Mi-octobre 2025, plus de 8,5 millions de personnes avaient été vaccinées, selon le tableau de bord du ministère de la Santé.
Le Soudan du Sud est aussi l’un des pays où MSF a l'un de ses plus gros volumes opérationnels, à tous points de vue (nombre de patients, personnel, programmes, etc.).
Ces deux aspects expliquent pourquoi nous avons décidé de mener l’étude au Soudan du Sud. Elle va se dérouler dans des zones qui ont été vacciné par Euvichol-S.
Quelle méthode utilisez-vous pour estimer la protection offerte par le vaccin contre le choléra ?
Laure Madé : Il s’agit d’une étude de type cas-témoins appariés. Concrètement, chaque personne atteinte de choléra (le "cas") est incluse dès son arrivée dans un centre de soins. Ensuite, cinq personnes en bonne santé (les "témoins") sont appariées dans la communauté. Les témoins doivent être aussi similaires que possible aux cas, par exemple appartenir au même quartier, au même groupe d'âge et au même sexe.
Pour chaque personne incluse dans l’étude, qu’elle soit malade ou témoin, les équipes de terrain demanderont si elle a été vacciné et si possible, vérifieront les cartes de vaccination. En comparant le nombre de cas et le nombre de témoins vaccinés, nous pouvons alors estimer l'efficacité du vaccin dans la protection contre le choléra.
Comment les cas de choléra seront-ils confirmés ?
Dan Nyehangane : Le diagnostic des cas de choléra va combiner tests rapides, cultures bactériennes et analyses moléculaires. Dès qu’une personne suspectée de choléra est admise, un échantillon de selles fraîches est prélevé par un personnel soignant formé, ce prélèvement est effectué, si possible, avant l’administration d’antibiotiques. À partir de cet échantillon, deux premiers types de tests sont réalisés :
- Un test rapide de diagnostic (RDT) sur place, pour une première orientation.
- Une culture bactérienne, réalisée au Laboratoire national de santé publique à Juba, selon les recommandations du GTFCC (Groupe de travail mondial sur le contrôle du choléra).
Mais l’étape clé de cette étude repose sur les analyses qPCR, qui seront effectuées dans le laboratoire de Juba avec notre soutien technique. Ces analyses vont permettre d’identifier le sérogroupe (O1 ou O139) et de caractériser génétiquement les souches en circulation et leur quantité.
Pourquoi une étude en conditions réelles est-elle essentielle ?
Laure Madé : Les études d’immunogénicité — comme celles qui ont permis la préqualification d’Euvichol-S — démontrent que le vaccin déclenche une réponse immunitaire. Mais pour comprendre et orienter leur utilisation en condition réelle, dans des contextes divers où de nombreux facteurs peuvent influencer la protection (conditions sanitaires, groupes d'âge, zones géographiques ou virulence des souches locales), nous avons besoin d'une étude menée directement au sein de la communauté touchée par une épidémie de choléra, ce qu'on appelle une étude d'efficacité.
À cela s’ajoute un manque de données sur l’efficacité des campagnes réactives - campagnes lancées après la déclaration d'une épidémie de choléra - menées avec une seule dose, un schéma devenu courant en raison des pénuries. Ce besoin est d’autant plus crucial pour Euvichol-S, récemment intégré au stock mondial, mais dont l’utilisation est encore peu documentée en situation épidémique. Les enfants de moins de cinq ans, chez qui l’efficacité pourrait être moindre, sont également sous-représentés dans les données disponibles.
Autant de lacunes que cette étude vise à combler, afin d’éclairer les décisions de santé publique dans un contexte de forte pression épidémique et de ressources limitées.
(1) Protection from killed whole-cell cholera vaccines: a systematic review and meta-analysis Hanmeng Xu, MPH et coll. The Lancet Global Health. Volume 13, Issue 7e1203-e1212July 2025
(2) Malembaka EB, Bugeme PM, Hutchins C, Xu H, Hulse JD, Demby MN, et al. Effectiveness of one dose of killed oral cholera vaccine in an endemic community in the Democratic Republic of the Congo: a matched case-control study. Lancet Infect Dis. 2024;24: 514–522. doi:10.1016/S1473-3099(23)00742-9