Évaluation de l'impact des campagnes de vaccination massive contre le choléra et de l'Efficacité du vaccin
Le choléra continue de ravager l’est de la République démocratique du Congo (RDC), exacerbée par des conditions sanitaires précaires, des conflits incessants, et des phénomènes météorologiques extrêmes. L’ampleur des épidémies varie, mais seule une réponse rapide peut stopper leur propagation. Depuis fin 2022, l’intensification des conflits et des déplacements de population a entraîné une recrudescence des cas dans la région du Kivu.
Campagne de vaccination massive contre le choléra : une stratégie efficace ?
Dans les zones endémiques, où la maladie ressurgit régulièrement, des campagnes de vaccination orale de masse contre le choléra (VOC) sont recommandées pour prévenir et contrôler la maladie. Depuis 2019, la RDC a mis en œuvre de telles campagnes préventives dans les points chauds du choléra, ciblant les provinces du Nord-Kivu, Sud-Kivu, Tanganyika, Haut-Lomami, et Haut-Katanga, dans le cadre d'un plan pluriannuel d'élimination.
« Les performances du vaccin laissent espérer, avec une campagne de deux doses de vaccin ciblant les individus de plus de 1 an et couvrant une large part de la population, une réduction significative de l'incidence de la maladie par rapport à la période précédant la vaccination, pendant au moins trois ans, précise Anaïs Broban, épidémiologiste à Epicentre. Cependant, l’impact réel de ces vaccinations préventives reste peu documenté. »
Depuis 2021, Epicentre déploie un projet de recherche financé par Wellcome, UK AID, et le Foreign and Commonwealth Development Office pour évaluer l'impact à moyen terme de ces campagnes de vaccination de masse. Ce projet comprend la collecte de données au niveau des personnes suspectées d’avoir contracté le choléra, des ménages et des communautés dans le site urbain de Goma (Nord-Kivu) et dans le site rural de Bukama (Haut-Lomami). Initialement prévu pour se terminer mi-2024, le projet a été prolongé pour approfondir les premiers résultats prometteurs et étendre son périmètre à l’évaluation de l’efficacité vaccinale.
Une première phase prometteuse
Dans la première phase, la surveillance clinique a été renforcée dans les centres et unités de traitement choléra. À ce jour, environ 20 000 cas suspects ont été détectés à Goma et 1 500 à Bukama. Des analyses de laboratoire confirment ensuite les infections, et dans le site de Goma des enquêteurs se sont rendus dans certains ménages où un cas a été confirmé pour recueillir des informations sur l'exposition au choléra et les facteurs de risque, et prélever des échantillons. Ces études ont d’ores et déjà permis de tirer quelques enseignements : dans la ville de Goma, la consommation d'eau de surface ou d'eau livrée par camion semble être un facteur de risque d'infection par le choléra, tandis que dans les camps de personnes déplacées où la distribution est gérée par les organisations non gouvernementales (ONG), la livraison par camion a un effet protecteur. À Bukama, le risque semble associé à la gestion du système de distribution public, offrant ainsi une opportunité d'améliorer les pratiques actuelles.
Des enquêtes sérologiques mesurant les niveaux d'immunité ont également été menées, incluant environ 5 000 personnes à Goma et 1 800 à Bukama. A cela s’ajoute deux enquêtes de couverture vaccinale en 2022, l’une à Goma, 2 ans après les campagnes de masse, et l’autre à Bukama à la suite de la vaccination. Cette dernière a été mise en œuvre grâce à une approche communautaire innovante, reposant sur les instituteurs des villages enquêtés.
Dans la zone urbaine de Goma, cette enquête a révélé une couverture plus faible que celle attendue à partir des couvertures administratives. Dans les aires de santé vaccinées en 2019 et 2020, la couverture pour une dose est de l’ordre de 50% et celle pour deux doses tombe à 13%.
« La stratégie de vaccination parcellaire en ciblant seulement certaines parties de la ville et pas d’autres, la vaccination en plusieurs étapes et les mouvements de population à Goma ont eu tendance à diluer la couverture vaccinale », explique l’épidémiologiste.
En revanche la couverture post-campagne à Bukama est élevée, avec environ 85 % des personnes de plus de 15 ans et près de 90 % des moins de 15 ans ayant reçu au moins une dose, grâce à une stratégie de vaccination bien adaptée au mode de vie de la population.
Début de la 2e phase incluant l’efficacité vaccinale
Grâce au Wellcome, une seconde phase du projet vient de débuter. Elle inclut la poursuite de la surveillance, une évaluation de l'efficacité du vaccin oral contre le choléra par une étude cas-cohorte, une série d’enquêtes multi-indicateurs à Goma et Bukama (couverture vaccinale, incidence cas suspects choléra, mortalité et mouvements de population) et des enquêtes qualitatives pour comprendre les facteurs influençant la couverture vaccinale, comme les raisons de la non-vaccination et les mouvements de population. « Nous allons suivre l’évolution de la couverture vaccinale et des facteurs qui l’influencent, ainsi que la mortalité et évaluer l'efficacité du vaccin grâce à une étude observationnelle en fonction de l'âge, du nombre de doses, et du délai depuis la vaccination, » ajoute Anaïs Broban.
Cette étude observationnelle d’efficacité vaccinale menée à Goma recrutera des cas confirmés dans les centres de santé et les comparera à des personnes contrôles issues de la communauté. Les participants seront suivis régulièrement, par des visites à domicile ou des appels téléphoniques, pendant toute la durée de l'étude, permettant ainsi de collecter les données nécessaires pour comparer le nombre de cas de choléra entre personnes vaccinées et non-vaccinées. Ce projet vise à combler les lacunes sur le vaccin oral contre le choléra, telles que la durée de la protection et apporter des éléments pour construire des recommandations de calendrier de revaccination adapté. De plus, l'impact d'une deuxième dose retardée et l'efficacité chez les enfants de moins de 5 ans seront évalués. Définir les meilleures stratégies de vaccination pour maintenir une couverture élevée à long terme et comprendre la perception des campagnes par la communauté sont des enjeux clés pour des campagnes OCV efficaces en RDC.
Crédit photo : Moses Sawasawa