[Immersion] dans l’essai clinique sur l’administration d’une seconde dose retardée de la vaccination contre le choléra en Guinée

Lundi 19 septembre 2022
Cholera
Introduction
Faire de la recherche et des études cliniques en dehors des circuits académiques nécessite de la persévérance et du temps. Car il est souvent nécessaire de recruter et former des équipes dédiées mais aussi de mettre en place des infrastructures. Plongez au cœur de l’essai clinique visant à évaluer l’intervalle optimal entre deux doses de vaccinations contre le choléra coordonné par Epicentre en Guinée et sponsorisé par MSF, pour en découvrir les multiples étapes, de la genèse à l’acquisition des résultats.
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vaccin oral cholera
Corps éditorial

Contexte

Une maladie de la pauvreté : le choléra

bacille choleraLe choléra est l'une des plus anciennes maladies affectant l'homme, principal hôte naturel de la bactérie Vibrio cholerae, responsable de cette maladie infectieuse. Le vibrion cholérique est également présent dans l'environnement. C’est une maladie qui touche les populations vulnérables, vivant dans des conditions insalubres, avec des structures sanitaires insuffisantes. Chaque année, selon les estimations de l’OMS (1) on dénombre entre 1,4 et 3 millions de cas de choléra dans le monde et 21 000 à 143 000 décès, principalement dans les régions les plus pauvres du monde.

Une maladie non-contrôlée

accès eauLa prévention du choléra passe par l'accès à l'eau potable, un assainissement adéquat, une bonne hygiène notamment des mains et, en cas d’épidémie, la vaccination pour enrayer la propagation de la bactérie. Malgré cela, le choléra est loin d’être contrôlé. Dès qu’un cas est suspecté, il doit être notifié et des mesures doivent être prises pour enrayer la propagation de la maladie. En plus de la prise en charge des malades, il s’agit de sensibiliser la population, distribuer des produits pour traiter l’eau, et améliorer l’accès à l’eau potable. La vaccination est une mesure complémentaire de la lutte contre le choléra.

Un vaccin pour enrayer la propagation des foyers de choléra

vaccin oral choleraIl existe actuellement trois vaccins oraux préqualifiés par l’OMS contre le Choléra. Les fabricants recommandent deux doses avec un intervalle de 7 jours à 14 jours. Tous les trois font preuve d’une bonne efficacité. Deux de ces vaccins oraux sont particulièrement bien adaptés à une utilisation dans les pays où le choléra est endémique, en raison de leur coût abordable, d’une fabrication relativement simple, ainsi que de leur facilité de transport et de stockage.

2018, Un constat : un schéma vaccinal peu adapté aux contextes d’urgence

L’utilisation de ces vaccins oraux contre le choléra apporte des améliorations notables pour prévenir et endiguer les épidémies. Toutefois en contexte d’urgence, il est rarement envisageable d’effectuer deux cycles de vaccination de masse dans un délai court de 2 semaines. En effet, les épidémies surviennent le plus souvent dans des contextes d'insécurité ou de catastrophes naturelles, ce qui limite la possibilité d'administrer la deuxième dose dans le délai imparti. La limite de production de vaccin peut aussi représenter un frein à l'administration d'une deuxième dose dans un délai de 2 semaines. Dans de nombreuses campagnes de vaccination réalisées jusqu’à ce jour, la deuxième dose a été administrée avec un intervalle plus long. Aussi, des stratégies de vaccination avec une dose unique sont parfois proposées en réponse à une épidémie pour atteindre une couverture vaccinale plus élevée avec un même nombre de doses. L’administration de la seconde dose reste nécessaire pour renforcer l’immunité à long terme.

Itinéraire d’un projet

2019 | Définir l’intervalle optimal entre les deux doses

Video

Il était donc important d’évaluer l’impact d’une augmentation de l'intervalle entre les doses vis-à-vis de la protection contre le choléra, d’autant plus que des données d'observation suggèrent que l’administration retardée de la 2e dose semble procurer une protection au moins équivalente. Selon d’autres travaux de recherche, il semblerait même que le délai de 14 jours soit trop court pour que la 2e dose puisse booster l’immunité. Seul un essai clinique en bonne et due forme, dans une région où les habitants n’ont jamais été vaccinés permettra de fournir des données scientifiques solides sur ce point.

« En collaboration avec le ministère de la santé et les représentants des autorités sanitaires guinéennes, MSF avec le support d’Epicentre a donc décidé de lancer un essai clinique pour démontrer si la réponse immunitaire avec un intervalle prolongé de 6 mois ou de 12 mois entre deux doses de vaccin oral contre le choléra est au moins aussi bonne que celle observée en administrant la seconde dose de vaccin selon les instructions du fabricant, à savoir deux semaines après la première dose, explique Fabien Kabongo, médecin coordinateur pour MSF en Guinée. Nous espérons ainsi pouvoir définir les conditions d’administration optimales du vaccin et faire avancer la lutte contre les épidémies de choléra en Guinée et plus largement dans le monde. »

Le financement de la Grieg Foundation a permis de poser les bases de cet essai clinique randomisé qui va se dérouler à Conakry dans la capitale de la Guinée.

illustration vaccination

Monter un projet de recherche clinique rime avec rigueur et persévérance

fabienne Nackers« De l’idée d’un essai clinique à sa mise en œuvre, les étapes sont nombreuses, ainsi que les collaborations nationales et internationales à établir. La recherche doit respecter d’une part, des règles éthiques afin de garantir la sécurité et la protection des participants et d’autre part, une méthodologie rigoureuse pour garantir la fiabilité et la reproductibilité des résultats. Seul ce cadre strict permettra d’obtenir des résultats scientifiques suffisamment solides pour permettre d’influencer les pratiques médicales, pour les soins préventifs dans notre cas, et d’améliorer ainsi la prise en charge des populations. Le protocole de recherche détermine ce cadre : il définit entre autres les objectifs de l’étude, les critères de sélection des participants, les procédures de suivi, la méthodologie nécessaire pour analyser les données, statistiques notamment, le cadre éthique, la gestion et la protection des données. L’étude va ainsi impliquer de nombreuses personnes avec des compétences spécifiques. Par exemple, tout au long de l’essai, les évènements indésirables survenant chez un participant doivent être identifiés, pris en charge et déclarés. Un médecin a donc été spécialement recruté et formé à cette fin et une structure sanitaire de référence a été aussi identifiée pour le suivi des participants. Cela signifie un renforcement humain substantiel des capacités de recherche, avec l’espoir que les personnes formées contribueront ensuite dans d’autres projets de recherche pour continuer à améliorer la santé des populations. »

Fabienne Nackers, investigatrice qui collabore à la mise en œuvre de l’essai avec l'équipe.

Pourquoi Conakry ?

GuineeConakry est une ville portuaire avec une population estimée à environ 2 millions d'habitants en 2019. Le choléra est endémo-épidémique en Guinée, où des épidémies ont été documentées en 1994, 2006-2007 et une dernière plus importante en 2012 . En 2012, 7350 cas ont été rapportés, dont les deux tiers à Conakry. Par conséquent, les populations de Conakry et de Guinée bénéficieront certainement des résultats de cette étude.

Les acteurs guinéens impliqués dans la lutte contre le choléra ont démontré leur intérêt pour cette vaccination. Car, la première réponse à une épidémie de choléra utilisant un vaccin oral en Afrique a été mise en œuvre en Guinée (en vaccinant spécifiquement dans 2 préfectures : Boffa et Forécariah) en réponse à l'épidémie de 2012. La documentation de cette vaccination de masse réactive a conduit à une collaboration scientifique fructueuse et stimulante entre MSF, le sponsor de cette étude, Epicentre et les investigateurs guinéens.

2020-2022 | Mettre en place l’infrastructure pour mener une telle recherche

Aboubacar Soumah« Avant de commencer l’étude, il a fallu constituer et former l’équipe. Nous avions besoin de personnes pour recruter les participants, ce qui nécessite de leur expliquer l’étude, obtenir leur consentement, prélever les échantillons, administrer les vaccins, puis les suivre jusqu’à la fin de l’essai. Outre leurs compétences médicales, ces personnes doivent être formées aux principes des « Bonnes Pratiques Cliniques » qui encadrent l’application rigoureuse des méthodes de recherche et garantissent le respect de l’éthique et la protection des droits des participants à l’essai. Nous avons aussi dû recruter des gestionnaires de données et des logisticiens pour la mise en place des infrastructures nécessaires sur le site de recrutement des participants et au laboratoire, notamment pour la conservation des échantillons en chaîne ultra-froide. L’équipe d’Epicentre inclut aussi plusieurs experts, notamment en méthodologie des essais cliniques, de laboratoire, pharmacovigilance, statistique, protection des données. Plusieurs accords doivent être établis avec les partenaires guinéens et des laboratoires internationaux pour mener un tel projet. Et pendant toute cette phase de préparation, nous avons dû nous adapter aux aléas de la pandémie de Covid-19, ce qui a généré de nombreux retards, sans limiter notre enthousiasme. »

Aboubacar SOUMAH, coordinateur de l’étude.

2021-début 2022 | Faire sortir de terre un laboratoire

Des prélèvements sanguins des participants sont recueillis à différents moments de l’étude afin d’effectuer une analyse sérologique pour déterminer, entre autres, la présence des anticorps vibriocides, meilleur indicateur d’une immunité contre le choléra. « Tous les échantillons sont centrifugés et le plasma séparé en plusieurs échantillons dans des microtubes dans un environnement à température contrôlée. Les échantillons sont stockés dans un congélateur à -20°C dans les 6 heures suivant le prélèvement, et ensuite conservés à -80°C. Il a donc fallu faire venir un ultra-freezer (congélateur -80°C) sur le site de l’étude. » explique Alexandra Ascorra, assistante de recherche.

Pour chaque participant, les échantillons de plasma sont ensuite expédiés vers notre laboratoire partenaire aux Etats-Unis en les maintenant à -80°C avec une chaîne du froid conforme aux réglementations de l'association internationale du transport aérien pour l'expédition d'échantillons de matériel infectieux, pour les analyses sérologiques.

Mai 22 : le laboratoire est enfin fonctionnel

 

2022 | Recruter les participants et obtenir leur consentement

L’équipe dite d'engagement communautaire, comprenant des promoteurs de santé, est chargée d’identifier et recruter les participants à l'étude, en respectant les procédures locales. Elle organise des séances d'information sur l'étude dans les établissements de santé et dans la communauté.

Avant toute procédure spécifique à l'étude, le consentement éclairé écrit du participant ou d’un représentant (mère, père ou principal responsable) pour les mineurs est obtenu. Dans le cas où le participant est analphabète, le consentement est obtenu en présence d'un témoin impartial et non lié à l'équipe de l'étude. En tout 456 personnes de 1 à 39 ans doivent être recrutées. 

 

Juillet 2022 : première vaccination dans le cadre de l’étude

2022-2024 | Le suivi des participants

suivi patientsLe suivi des participants est un défi dans le contexte de Conakry. Les participants seront contactés régulièrement par téléphone par un membre de l'équipe pendant leur suivi afin de leur rappeler leur participation à l'étude, en particulier les visites prévues pour la seconde dose de vaccin, 6 ou 12 mois après la première. L'équipe continuera à suivre tous les participants, avec leur accord, jusqu'à la fin de l'étude, soit jusqu’à 18 mois après leur recrutement pour certains.

2022-2024 | Analyse des données

labo conakryTout au long de l’étude, les données sont recueillies dans le respect des normes de confidentialité. Leur qualité est vérifiée afin notamment d’identifier et de corriger les données erronées, inexactes ou non pertinentes. Ensuite les données seront analysées afin d’évaluer si la réponse immunitaire humorale entre les individus recevant une seconde dose de vaccin 6 ou 12 mois après la dose initiale par rapport à ceux qui ont reçu une seconde dose 14 jours après la première est non-inférieure.

Au final

C’est seulement à l’issue de ces différentes étapes que des données scientifiques fiables permettront de déterminer si la réponse immunitaire humorale est non inférieure entre ces différents schémas d’administration du vaccin oral contre le choléra. Le cas échéant, un intervalle plus long entre les doses pourra alors être considéré comme une alternative à l'intervalle de 14 jours actuellement recommandé.

 

(1) https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/cholera

crédit photo : Alawiya Mohammed, Moses Sawasawa, DR, Jakub Hein, Mohamed Bah

 

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