L’autopsie verbale, un outil supplémentaire pour l’épidémiologie

Jeudi 16 février 2023
Paludisme
Introduction
En raison de la mortalité extrêmement élevée en Ituri en République Démocratique du Congo, due notamment au paludisme, MSF a déployé des campagnes de distribution de masse d’antipaludéens. Lise Grout, épidémiologiste à Epicentre, évalue l’impact de ces campagnes pour lesquelles des questions demeurent quant à la durée de l’effet sur la mortalité et la morbidité de la population dans un contexte hyper-endémique comme l’Ituri. Pour affiner cette enquête, elle a été amenée à compléter l’arsenal épidémiologique par un nouvel outil : l’autopsie verbale. Elle détaille son étude et l’apport de l’autopsie verbale.
Bannière
MDA Iturie RDC
Corps éditorial

Quel est le contexte de votre étude ? et où se déroule-t-elle ?

Lise groutLise Grout : Le conflit très violent qui sévit en Ituri, une province du nord est de la République Démocratique du Congo (RDC), depuis 2017 a entrainé des déplacements massifs de population, et une forte mortalité due aux violences, mais également au paludisme. Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans dans la zone (qu’ils soient autochtones ou déplacés) apparaît même supérieur au seuil d'urgence avec comme principales causes le paludisme, l'anémie et les maladies diarrhéiques. L’année 2020, marquée par de fortes pluies et par la pandémie de COVID19 qui aurait pu peser sur un système de santé fragile, laissait présager une mortalité par paludisme encore plus élevée. MSF a donc décidé de procéder à une distribution massive d’antipaludéen (MDA) dans une partie de la zone de santé d’Angumu où se trouvent beaucoup de personnes déplacées et où MSF a un projet régulier depuis 2019. Il s’agit de l’administration d’un schéma thérapeutique complet d’antipaludéens (indépendamment de la présence de symptômes ou d'infection) à une population définie, vivant dans une zone géographique définie approximativement au même moment et souvent répétée à intervalles réguliers, comme cela est recommandé par l’OMS dans les contextes d’urgence complexes. Elle s’est déroulée en 3 tours, avec en octobre et novembre 2020, 2 cycles d’ASAQ qui combinent artésunate-amodiaquine et en décembre 2020, 1 cycle de Pyramax, combinaison d’artésunate-pyronaridine.

A l’issue de cette MDA, en mars 2021, nous avons mené une enquête auprès de 2500 ménages pour comparer les taux de mortalité entre septembre 2020 et mars 2021 dans les aires de santé avec MDA et dans celles sans MDA, avant (septembre 2019/septembre 2020) et après (octobre 2020/mars 2021) la MDA. Les chefs de ménages étaient interrogés pour savoir, entre autres, combien de personnes étaient décédées dans leur foyer depuis septembre 2019.

Quels étaient les premiers résultats ?

L.G. : Un premier résultat très satisfaisant concerne le taux de couverture de la distribution : il est supérieur à 90 % dans les villages et à 96% dans les camps de déplacés, ce qui illustra la bonne adhérence de la population. Mais ce que l’enquête a surtout permis de mettre en évidence, c’est une réduction spectaculaire de la mortalité due au paludisme chez les enfants de moins de 5 ans après la MDA : le taux de mortalité était jusqu’à deux fois plus élevé dans les aires de santé où la MDA n’avait pas été pratiquée.

Derrière ce résultat très encourageant se posait toutefois la question de sa pérennité dans le temps. La mortalité allait-elle remonter doucement ? Ou allions-nous assister à un retour rapide à la mortalité initiale ? Voire à un rebond de mortalité comme le prédisait les plus pessimistes. Une 2e enquête a donc eu lieu 1 an plus tard en avril 2022, avec des résultats beaucoup moins tranchés. Dans deux des quatre aires de santé où la MDA avait eu lieu, la mortalité était toujours plus faible que dans les zones sans MDA, par contre dans les deux autres, elle était plus élevée. Fait encore plus surprenant, le paludisme était toujours la cause principale de décès d’après les chefs de ménage alors que les personnes décédées étaient plus âgées que dans les autres aires de santé.  

En regardant d’un peu plus près les données, on constatait que cette surmortalité était visible dès le début de l’année 2021 (juste après les MDA) et semblait toucher certains villages et camps de déplacés en particulier. Cela nous a conduit à émettre plusieurs hypothèses :

  • soit il s’agissait d’un biais d’enquêteurs (certains enquêteurs ayant collecté les données différemment ou de manière erronée [NDLR]),
  • soit les décès ne correspondaient pas à des membres du ménage, mais plutôt à des personnes en visite dans les ménages interrogés,
  • soit la surmortalité était réelle.

Dans ce dernier cas, nous voulions alors comprendre si la cause principale de décès était le paludisme, comme rapporté par les chefs de ménage, ou si une autre pathologie avait pu sévir dans cette zone pendant la période de rappel. Le seul moyen de répondre à cette question était de retourner enquêter avec un outil plus puissant dans les villages et les camps de déplacés pour connaître plus en détail les causes des 400 décès rapportés en avril, et l’autopsie verbale nous est apparue comme le bon outil.

En quoi consiste l’autopsie verbale ?

L.G. : En l’absence de registre des décès et d’état civil, il est difficile d’établir les causes de la mort. L’autopsie verbale a été mise au point par l’OMS pour pallier cette lacune et recueillir l’information, des semaines, voire des mois après l’inhumation d’une personne. C’est un questionnaire clinique standardisé de 20 à 30 minutes. A l’aide d’une tablette, un enquêteur recueille auprès des familles les circonstances du décès, la description des symptômes et des signes cliniques qui ont précédé la mort, le parcours de soins (tests laboratoire, traitement) de la personne, quelques facteurs de risque existant, et demande s’il existe un certificat de décès. Ensuite ces données sont analysées, soit par un médecin au regard du contexte épidémiologique local, qui va lui permettre d’établir un diagnostic différentiel et la cause probable du décès, soit par un algorithme développé par des chercheurs spécialisés sur la thématique et validé par l’OMS.

Nous avons envoyé des enquêteurs retrouver les décès rapportés en avril 2022 et pratiquer l’autopsie verbale. Nous avons dû faire face à des absences et des déménagements (notamment pour les personnes déplacées) mais assez peu de refus. Un pool de médecins à MSF et Epicentre s’est formé pour décrypter les questionnaires et déterminer les causes probables de décès. Ce travail est en cours.

Si l’autopsie verbale s’avère faisable sur des terrains où travaillent MSF et Epicentre et confirme son efficacité pour déterminer plus précisément les causes probables de décès, elle pourrait être intégrée à l’enquête de suivi de l’impact de la MDA prévu en avril 2023, ou à d’autres enquêtes de mortalité rétrospective pour lesquelles cela pourrait être jugé utile.

C’est seulement à l’issue de toutes ces analyses que nous pourrons réellement trancher sur l’effet à moyen terme de la MDA en Ituri.

 

Crédit photo : Charly Kasereka/MSF
Juillet 2022 - Les relais communautaires facilitent la distribution de masse de médicaments antipaludéens organisée par MSF dans cinq aires de santé d’Angumu, pour les populations hôtes et celles déplacées suite aux conflits armés.

Effect of large-scale mass drug administration for malaria on mortality and morbidity in Angumu health zone, Ituri, Democratic Republic of Congo.

Référence de l'article: Malaria journal 2023 Feb 06; 22(1); . doi: 10.1186/s12936-023-04469-7. Epub 2023 02 06
Voir plus

En savoir plus sur la paludisme

Les enjeux à relever dans la lutte contre le paludisme

Après des années de progrès, la lutte contre le paludisme a connu un coup de frein en 2020. Pour la 1ère fois en 20 ans, le nombre...

Paludisme

Améliorer la prévention, le diagnostic et le traitement du paludisme

Paludisme

Découvrez les études d'Epicentre actuellement en cours sur le paludisme.