Les enjeux à relever dans la lutte contre le paludisme

Lundi 25 avril 2022
paludisme
Introduction
Après des années de progrès, la lutte contre le paludisme a connu un coup de frein en 2020. Pour la 1ère fois en 20 ans, le nombre de cas a en effet augmenté et ce, très certainement en raison de la perturbation des services de santé pendant la pandémie de COVID-19. Entretien avec Matthew Coldiron, épidémiologiste à Epicentre, sur les enjeux pour espérer un jour pouvoir contrôler cette maladie parasitaire.
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Corps éditorial

Quelle est la situation mondiale vis-à-vis du paludisme ?

Matthew ColdironMatthew Coldiron : On a dénombré 241 millions de nouveaux cas de paludisme et 627 000 décès en 2020, selon le rapport mondial sur le paludisme de l’OMS. 96 % des cas se sont produits dans la région africaine. Et Six pays - le Nigeria, la RDC, l'Ouganda, le Mozambique, l'Angola et le Burkina Faso- cumulent 55 % de tous les cas au niveau mondial. Les enfants sont les principales victimes avec 77 % des décès dus au paludisme survenant chez les enfants de moins de cinq ans.

La pandémie de COVID19 a fortement perturbé les interventions de prévention et l’accès aux soins mettant un frein aux progrès réalisés depuis plusieurs années. La lutte contre le paludisme est donc loin d’être finie. Par ailleurs la diminution de sensibilité des insecticides utilisés pour imprégner les moustiquaires, les mutations du parasite qui entrainent une résistance au traitement, mais aussi des défaillances des tests diagnostic sont autant de problèmes qui entravent les efforts d'élimination.

Au-delà des moustiquaires et des insecticides, quelles sont les actions de prévention existantes ?

MC : Dans des zones du Sahel où il existe une transmission hautement saisonnière, la chimioprévention saisonnière (CPS) est proposée aux enfants de 3 à 59 mois. Elle consiste à administrer un cycle de traitement complet par la sulfadoxinepyriméthamine (SP) et l'amodiaquine (AQ) à des intervalles d’un mois, en commençant au début de la saison de la transmission et jusqu’à la fin (généralement trois ou quatre mois). 33,5 millions d’enfants en ont bénéficié en 2020. L’OMS a publié de nouvelles directives visant à donner plus de flexibilité quant à l’administration de la CPS afin de l’adapter aux spécificités des pays concernés. L’un des risques avec la CPS est que les parasites du paludisme deviennent résistants aux médicaments utilisés. Epicentre mène une étude au Tchad dans le district de Moïssala afin d’évaluer les marqueurs génétiques de la résistance à la sulfadoxine-pyrimethamine et à l’amodiaquine et suivre leur évolution depuis le début de la mise en place de la CPS en 2012.

Des approches d'administration massive de médicaments sont également expérimentées dans plusieurs contextes. Le principe est de traiter toutes les personnes dans une zone définie qu’elles présentent des symptômes ou pas. Cette approche diminue le niveau de parasite dans la population et donc la transmission. Ainsi en RDC, dans la zone d’Angumu, Epicentre a montré une très forte diminution de la mortalité et de la morbidité des enfants de moins de 5 ans dans les zones où l'administration massive de médicaments est pratiquée, par rapport aux zones où elle ne l'est pas. Ces interventions sont efficaces, mais par contre elles sont couteuses et nécessitent d’être renouvelées régulièrement.

On dispose aussi désormais d’un vaccin RTS,S/AS01E (RTS,S), pour prévenir paludisme. Les premiers essais cliniques de ce vaccin faisaient état d’une efficacité comparable à celle obtenue avec la CPS. En revanche la combinaison des deux a permis de réduire l'incidence du paludisme et les décès d'enfants d'environ 70 % par rapport à l'un ou l'autre mode de prévention utilisé séparément. Derrière l’espoir cela pose la question des moyens humains et financiers nécessaires à la mise en œuvre de telle stratégie.

Quels sont selon les autres enjeux en termes de recherche sur le paludisme ?

MC : Il est urgent de mettre au point de nouveaux tests rapides, faciles d’utilisation et e nécessitant pas de laboratoire (point of care). Les tests de diagnostic rapide du paludisme actuellement disponible ont certes amélioré l'accès au diagnostic dans les pays endémiques.  Mais ils s’avèrent aujourd’hui de moins en moins efficaces. la plupart d’entre eux détectent la présence de deux protéines riches  en histidine (pfhrp2/3 ) du Plasmodium falciparum, et leur sensibilité est sérieusement menacée par l'émergence de parasites dépourvus de cette protéine.

Se pose aussi la question du temps nécessaire à chaque test pour devenir négatif après le traitement et le rétablissement du patient. Epicentre a ainsi évalué plusieurs types de tests de diagnostic rapide (notamment HRP2 et pLDH) pour voir lesquels sont les mieux adaptés aux différents contextes. Les tests HRP2 continuaient à donner un résultat positif jusqu'à 6 semaines après un traitement, ce qui laisse entendre qu'on devrait éviter de les utiliser dans les zones à forte transmission où une réinfection précoce serait fréquente.

Alors que les moustiquaires imprégnées d'insecticide à longue durée d'action ont permis de réduire le paludisme en Afrique subsaharienne, leur efficacité est aujourd'hui partiellement compromise par la résistance des vecteurs aux insecticides. La recherche de nouveaux insecticides ou d’autres moyens de protection doit donc être remis à l’ordre du jour.

Qu’en est-il de la résistance au traitement ?

MC : Depuis plusieurs années on constate une diminution de l’efficacité de la dernière génération d’antipaludéen mis au point dans les années 2000 et qui ont largement contribué aux progrès dans la lutte contre le paludisme, les ACT (pour artemisinin-combined therapies). Ces combinaisons associent un dérivé de l’artémisinine à action rapide et une autre molécule d’action plus prolongée. Comme pour les médicaments de générations précédentes, à savoir la chloroquine et la sulfadoxine-pyrimethamine, on a commencé à constater une diminution de la vitesse d’élimination du parasite chez les patients traités, preuve de leur perte d’efficacité. Apparues en Asie du Sud Est, ces résistances à l’artémisine ont depuis 2020 été notifiées au Rwanda et en Ouganda. Elles sont associées à la présence d’une mutation du gène pfk13 du parasite.  Ce constat est alarmant puisque les ACT sont la clé de voute de la lutte contre le paludisme.

Le Centre du Niger d’Epicentre est l’un des 14 sites - 8 pays dans des pays d'Afrique et 5 d'Asie – du projet DeTACT coordonné par MORU et financé par UKaid et le Foreign and Commonwealth Development Office (FCDO) du Royaume-Uni qui vise à découvrir de nouvelles approches thérapeutiques contre le paludisme. Ce projet DeTACT étudie l'efficacité, la sécurité et la tolérance de deux trithérapies combinées à base d’artémisinine (TACT) utilisant des médicaments antipaludiques existants (artéméther-luméfantrine + amodiaquine et artésunate-méfloquine + pipéraquine).

Il s’agit d’intensifier la sensibilisation et de développer l’accès aux moyens de prévention pour les populations qui vivent dans les régions où le paludisme est endémique. Parallèlement, il faut accroître les investissements en recherche pour mettre au point de nouvelles stratégies préventives, diagnostiques, thérapeutiques, voire un vaccin soit plus efficace, soit moins cher, et préférablement les deux à la fois, pour espérer un jour mieux contrôler le paludisme.

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