VIH : démonstration de l'efficacité d'un programme pour mettre fin à l'épidémie
Quel était le contexte de votre enquête ?
Nolwenn Conan : L’objectif de l’étude était de mesurer les progrès en matière de diagnostic, de mise sous traitement, et de suppression de la charge virale chez les personnes vivant avec le VIH cinq ans après une première enquête qui avait été effectué en 2013 dans le KwaZulu Natal. Cette région d’Afrique du Sud connait l'un des taux d'infection par le VIH les plus élevés du monde, avec une personne sur quatre vivant avec le VIH. MSF y collabore avec le ministère de la santé sud-africain depuis 2011 dans un programme appelé « Bending the curve » (1) pour améliorer l’accès au diagnostic et au traitement.
En quoi consiste ce programme ?
NC : Il repose sur le principe tester et traiter pour supprimer la charge virale. Depuis 2016, l’OMS préconise en effet le programme « test & treat » qui consiste à dépister et soigner tout de suite, toutes les personnes séropositives indépendamment de leur taux de CD4. Il est en effet désormais admis qu’une couverture élevée des traitements ARV permet de réduire la charge virale jusqu’à ce qu’elle devienne inférieure au seuil de détection. Par conséquent, le virus ne détruit plus le système immunitaire des personnes infectées, ce qui leur permet de rester en bonne santé et de ne pas développer de maladies liées à l’immunodépression. En outre, la personne ne peut plus transmettre le VIH et le traitement devient alors un moyen de réduire l’incidence du VIH. Le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (ONUSIDA) s’est d’ailleurs donné comme ambition que 90% des personnes vivant avec le VIH et sous traitement aient une charge virale supprimée en se basant sur ce principe.
Le programme mis en place dans le KwaZulu-Natal en 2011 repose sur des interventions au niveau communautaire avec des activités de prévention, de dépistage en porte-à-porte et dans des sites fixes. Il permet de toucher les personnes vivant avec le VIH et qui n’ont pas accès aux services de santé conventionnels. A cela s’ajoute le soutien aux structures de soins pour favoriser l'initiation précoce des antirétroviraux, et la mise en œuvre de modèles de soins différenciés pour distribuer les traitements et maintenir les personnes sous traitement. Ce programme implique un grand nombre de personnes de la société civile locale, notamment des groupes de patients, le personnel de santé, et les chefs traditionnels.
Comment avez-vous procédé pour votre étude ?
NC : Nous avons effectué 2 enquêtes dans la communauté, basées sur la même méthodologie à 5 ans d’intervalle, l’une en 2013 et l’autre en 2018. Chaque participant âgé de 15 à 59 habitant dans la région concernée et ayant été sélectionné de manière aléatoire était interviewé et bénéficiait d’un test rapide de dépistage du VIH. Si celui-ci était positif, d'autres analyses sanguines étaient effectuées pour mesurer le niveau d’immunité par le comptage de CD4, ainsi que la charge virale. 3 278 personnes ont ainsi été recrutées en 2018.
Quels sont les résultats principaux de l’étude ?
Notre étude a montré une nette amélioration de la proportion des individus ayant une charge virale supprimée parmi les personnes séropositives. Alors qu’elle était de 57 % en 2013, elle est passée à 84 % en 2018, et cette augmentation s’observe quelque soit le sexe et dans toutes les tranches d’âge, ce qui laisse espérer que les infections VIH aient diminué dans cette population au cours de cette période.
De plus, en 2018, dans la région KwaZulu-Natal, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissaient leur statut, et parmi elles, 94% étaient sous ARV, soit une augmentation par rapport à 2013 où ces proportions étaient de 75% et 70% respectivement.
Reste toutefois le bémol des hommes âgés de 15 à 29 ans dont seule la moitié avait une charge virale indétectable en 2018, l'autre moitié restant à risque de transmission du VIH. Par ailleurs, un tiers des personnes interrogées dans cette tranche d’âge ignoraient qu'elles étaient infectées par le VIH au moment de l’enquête, bien que près de la moitié d’entre elles aient été testées moins d'un an avant l'enquête, ce qui suggère que l’infection était récente. Des efforts supplémentaires et ciblées doivent donc être déployés pour atteindre cette population, tout en maintenant les bons résultats dans les autres groupes de population, d’autant plus la pandémie Covid-19 a entrainé un large recul dans la lutte contre le VIH.
Quelles conclusions en tirez-vous ?
NC : La proportion de participants connaissant leur séropositivité et sous traitement ARV s'est significativement améliorée entre 2013 et 2018 dans tous les groupes d’âge. Ce projet confirme que les objectifs 90-90-90 de l'ONUSIDA sont atteignables dans une région avec un taux élevé de personnes vivant avec le VIH.
Cette réussite s’explique en grande partie par l’implication des services communautaires et le soutien clinique au niveau des soins primaires, mais aussi par la mise en œuvre du programme « test and treat » par l’OMS depuis 2016.
- Le projet "Bending the Curves" de MSF a débuté en 2011 avant que les objectifs 90-90-90 ne soient fixés par l'ONUSIDA en 2013 ; il visait à réduire l'incidence des nouvelles infections par le VIH ainsi que les maladies et les décès liés au VIH. https://msfaccess.org/bending-curves-hiv-south-africa