Bangladesh: Une personne sur cinq infectée par l'hépatite C dans les camps de réfugiés rohingyas, mais pas d’accès au diagnostic ni au traitement

Mercredi 12 juin 2024
Hépatite C
Introduction
Selon une étude menée par Epicentre pour Médecins sans Frontières (MSF), près de 20% des réfugiés rohingyas dépistés présentent une infection active au virus de l’hépatite C dans les camps de Cox’s Bazar, au Bangladesh. Ce chiffre alarmant met en lumière les conséquences délétères de leurs conditions de vie, faites de violences, de discriminations et de précarité.
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Cox’s Bazar bangladesh
Corps éditorial

« C’est avec l’espoir de guérir que, chaque jour, des centaines de patients s'alignent, dans une file d'attente qui semble sans fin, devant la clinique spécialisée de Médecins Sans Frontières à Cox’s Bazar. « Ils ont été témoins des ravages que cause l’hépatite C, ayant eux-mêmes perdu des membres de leur famille ici ou lorsqu’ils vivaient encore au Myanmar », explique le docteur Wasim Firuz, coordinateur médical adjoint à MSF.

Depuis quatre ans, lui et son équipe ne peuvent traiter qu'une infime partie des réfugiés rohingyas affectés par cette maladie infectieuse, souvent diagnostiquée chez plusieurs membres au sein d’une même famille. C'est le cas de Mujibullah, dont la femme et les deux sœurs sont atteintes du virus de l’hépatite C (VHC). Sa mère, décédée, craignait déjà à l’époque que le virus ne se transmette à toute la famille et s'inquiétait du coût du traitement.

Face à ce constat, Epicentre a mené une enquête auprès de 680 ménages dans sept camps entre mai et juin 2023 pour évaluer la prévalence de l’infection par le virus HCV, qui si elle n’est pas traitée peut conduire à des complications telles que la cirrhose ou le cancer du foie. Les résultats ont montré que près d'un tiers des adultes dans les camps avaient été exposés à une infection par le virus de l’hépatite C au cours de leur vie. Parmi eux, près de 20 % ont une infection active. L’extrapolation des résultats de cette étude à l’ensemble des camps suggère qu’environ un adulte sur cinq – soit 86 000 personnes –, est actuellement infecté par l’hépatite C et a besoin d’un traitement pour être guéri. Depuis octobre 2020, MSF a reçu plus de 8 000 patients, accueillant entre 150 et 200 nouveaux patients chaque mois, ce qui reste encore insuffisant pour répondre aux besoins

Traitement efficace, accès limité

Hepatite CL'accès au diagnostic et au traitement reste insuffisant dans de nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire, comme c'est le cas au Bangladesh. En 2022, l'OMS estimait que l'hépatite C avait entraîné la mort de 242 000 personnes dans le monde, principalement à cause de complications telles que la cirrhose ou le cancer du foie. Depuis 2014, les antiviraux à action directe (AAD) permettent de traiter l'hépatite C de manière efficace. Les équipes de MSF ont ainsi utilisé ces nouveaux traitements pour soigner environ 19 000 personnes au Cambodge entre 2016 et 2021. Rapidement après l’émergence des camps de réfugiés à Cox’s Bazar, MSF a décidé de lancer une approche simplifiée pour le traitement de l'hépatite C.

« Cette approche repose sur une mise sous traitement de 12 semaines voire 24 semaines pour les formes plus sévères, sans évaluation biologique préalable du foie, explique le docteur Farah Hossain, responsable adjointe des programmes médicaux à MSF. Elle s’accompagne de tests diagnostiques rapides pour évaluer la présence d’éventuelles autres pathologies associées (HIV, HBV, Diabète) et d’un nombre réduit de visites de suivi. La qualité des soins a été maintenue comme le montre la bonne réponse thérapeutique, avec plus de 94 % de guérison, sur plus de 4000 patients. »

Si le Bangladesh a un plan de lutte contre l'hépatite virale, le coût des diagnostics et des traitements restent cependant élevés et ceux-ci ne sont pas toujours disponibles. Chaque test diagnostique coûte par exemple 20 dollars US et chaque personne testée doit l’être deux fois, avant le début du traitement et à la fin de celui-ci, avec un coût total de 40 dollars US par personne, ce qui augmente encore les frais médicaux à la charge des patients.

Dans les camps de Cox’s Bazar, les cliniques de MSF restent les seuls endroits offrant un traitement gratuit. C’est donc là que se rendent des centaines de Rohingyas, qui vivent depuis 2017 dans la précarité la plus extrême, enfermés dans des camps dont ils ne peuvent sortir et où ils n’ont pas le droit de travailler.

« Nous prenons en charge les personnes âgées de 40 à 70 ans, précise le docteur Wasim. Les jeunes peuvent mettre des années à développer des complications, alors que les plus âgés font face à des problèmes de santé immédiats. Nous ne pouvons pas traiter tout le monde à cause des ressources limitées. »

Dans les camps, des besoins massifs

Les principales voies de transmission de l'hépatite C sont le sang, principalement par le biais d'injections ou de pratiques médicales dangereuses. Selon l'étude réalisée par Épicentre, l'exposition à ces pratiques semble être le principal facteur de risque dans le contexte spécifique et confiné des camps.

Environ 70 % des personnes ayant participé à l'étude ont rapporté avoir reçu des injections à visée thérapeutique, soit dans les camps du Bangladesh, soit au Myanmar, souvent dans des établissements médicaux, chez des guérisseurs traditionnels ou encore lors d'accouchements réalisés de façon traditionnelle. Les conditions de vie difficiles, dans des espaces restreints et surpeuplés, le manque d'accès aux soins, l'absence de statut juridique et la réduction de l'offre de santé ont rendu les réfugiés rohingyas plus vulnérables notamment aux infections, dont l'hépatite C.

Briser la chaîne de transmission

Le traitement du virus de l'hépatite C a fait d'énormes progrès ces dernières années, avec des taux de réussite atteignant 95% grâce aux nouveaux antiviraux à action directe, ce qui est également observé par les équipes de MSF dans les camps de Cox’s Bazar. Une campagne massive de dépistage et de traitement du VHC doit être mise en place dans l'ensemble des camps de réfugiés rohingyas au Bangladesh, pour traiter les personnes et limiter la transmission dans le camps ce qui nécessite une augmentation rapide de l'accès au dépistage et au traitement.

« En parallèle, il faut briser la chaîne de transmission aussi grâce à une campagne de prévention et de promotion de la santé à grande échelle, explique le docteure Farah Hossain. Une initiative multipartenaire impliquant des acteurs humanitaires et de santé est nécessaire pour coordonner ces efforts. »

La plupart des personnes atteintes du VHC ne présentent aucun symptôme jusqu'à ce que la maladie devienne grave, menaçant leur vie après de nombreuses années d'évolution, conduisant à l'ascite, à la jaunisse ou au cancer du foie.

« Si le VHC est détecté et traité à temps, il peut être éradiqué, préservant ainsi la santé du foie, poursuit la référente médicale. À long terme, l'intégration du diagnostic et du traitement de l'hépatite C dans tous les centres de santé est nécessaire pour prévenir de nouveaux cas et casser la chaîne de transmission. »

MSF collabore actuellement avec le ministère de la santé du Bangladesh pour élaborer un plan national de traitement de l'hépatite C, s'inspirant de l’approche simplifié de prise en charge mis en place dans les camps.

Cette approche simplifiée de soins, prêt à être partagé avec tous les acteurs médicaux dans les camps, devrait faciliter l’accélération de la mise sous traitement contre le VHC. Des campagnes d'éducation à la santé sont nécessaires pour combler le manque d'informations sur la prévention du VHC dans les camps. Des activités communautaires pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination doivent également être mise en œuvre.

 

© Yassin Abdumonab/MSF, Abir Abdullah/MSF
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