Les obstacles persistants dans la prise en charge du VIH à Carnot, République centrafricaine : un frein aux progrès et à l’accès à un suivi optimal

Mardi 28 mai 2024
VIH
Introduction
Une étude menée à Carnot, République centrafricaine (RCA), révèle des défis persistants dans la gestion du VIH. Malgré l'adoption d'approches différenciées, les taux élevés de décès et de perdus de vue demeurent préoccupants. La distance jusqu'aux structures de soins, la sécurité durant le trajet, le manque de nourriture, la stigmatisation ainsi que des modèles différenciés qui peinent à s'adapter aux besoins des patients continuent d'être des obstacles majeurs à l'accès aux traitements.
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Carnot paysage
Corps éditorial

A Carnot, quatrième ville de la RCA avec une population d'environ 100 000 habitants, après une enquête de mortalité, en 2010, MSF a étendu ses activités pour inclure la prise en charge du VIH et de la tuberculose à l'hôpital du District. Depuis 2012, MSF a mis en place un modèle intégré avec le ministère de la Santé Publique, soutenant trois centres de santé périphériques, deux services ambulatoires urbains, ainsi que les services de pédiatrie et de médecine interne de l'hôpital du District.

« Depuis le démarrage du suivi de la cohorte des patients vivant avec le VIH en 2011, un très grand nombre de patients a été perdu de vue, confirmant la difficulté de rétention des personnes vivant avec le VIH dans les soins dans ce type de contexte. MSF nous a demandé de réaliser une étude pour en comprendre les raisons et décrire les facteurs d'engagement et de désengagement dans les soins VIH, » explique Valentina Carnimeo, épidémiologiste à Epicentre et responsable de l’étude.

En ce qui concerne l’évaluation du programme sur les 10 dernières années, Jihane Ben Farhat épidémiologiste à Epicentre qui l’a réalisée, détaille que plus de 5 400 adultes ont été pris en charge à Carnot depuis 2011, mettant en évidence le poids du VIH dans le district, principalement chez les femmes. Malgré une initiation précoce du traitement antirétroviral (TAR) grâce à la stratégie « Test & Treat », la cohorte a enregistré des taux significatifs de décès (11,3%) et de perdu de vue (35,5%), soulignant et confirmant les défis persistants dans la gestion à long terme du VIH.

L’étude s’est déroulée de mars à juillet 2023, recrutant plus de 400 personnes entre patients, soignants et informateurs clés qui ont participé à deux volets différents (quantitatif et qualitatif) de l’étude.

 

Décryptage des défis et des leçons de la gestion des Soins du VIH à Carnot

Premier constat de l'étude : 96% des participants étaient sous traitement à base de Dolutégravir (DTG). Face à la montée croissante de la résistance aux médicaments antirétroviraux, en juillet 2019, l'OMS a actualisé ses recommandations sur les traitements de première et deuxième ligne, préconisant l'utilisation du DTG, un médicament inhibiteur de l'intégrase (INT), combiné à deux autres médicaments inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) pour tous les adultes, adolescents, nourrissons et enfants débutant un traitement antirétroviral. Ce traitement est également privilégié en deuxième intention pour les personnes en échec de traitement ne prenant pas de Dolutégravir.

« En accord avec les directives récentes de l'OMS, les nouveaux schémas thérapeutiques incluant le DTG ont été mis en place en RCA en 2020, rappelle Valentina Carnimeo. Et nos résultats confirment cette transition. »

En revanche, près de 12 % des individus sont en échec thérapeutique c’est-à-dire avec un nombre de copies du virus en circulation au-delà de 1000 copies/ml.

« Ce résultat reste acceptable étant donné les nombreux défis à relever pour la prise en charge du VIH dans une région rurale comme le district de Carnot », souligne Valentina Carnimeo.

La charge virale demeure toutefois détectable (au-delà 40 copies/ml) chez plus d’un quart des patients, bien loin des préconisations de l’OMS qui prévoit 95% de suppression virologique, ce qui dénoterait vraisemblablement un manque d’adhérence au traitement compte tenu des niveaux relativement faibles de résistance circulante aux INTI et au Ténofovir.

 

A chaque étape de la prise en charge : des freins existent

Dans le cadre de la prise en charge du VIH, plusieurs stratégies dont des approches centrées sur le patient sont mises en œuvre pour favoriser l’adhérence au traitement et l'implication des patients : dispensation plurimensuelle d’ARV, avec la possibilité de recevoir jusqu’à 6 mois de traitement en deux fois, création groupes d’accès communautaires aux ARV (« CAG ») avec un membre qui collecte les doses de médicaments du groupe entier pour les mois à venir, réduisant ainsi le coût de transport et le temps passé aux consultations médicales, éducation thérapeutique et recherche de perdus de vue de la part de l’association, RECAPEV, des patients atteints par le VIH . Mais cela ne semble pas suffisant, d’ailleurs très peu de personnes participent au CAG, soit parce que cela ne leur pas encore été proposé, soit par refus par peur pour la confidentialité sur leur maladie, comme l’explique un patient de Carnot « Ce groupe, c’est bien, mais [parfois] certaines personnes … commencent à partager le secret des autres membres à autrui et ce n’est pas bon, ce qui fait que je n’ai pas envie d’intégrer ce groupe ».

« Lorsqu’on interroge les patients, note Pascale Lissouba, épidémiologiste à Epicentre, leur implication dans leur traitement semble influencée par une multitude de facteurs interconnectés ».

Tout d'abord, la distance à parcourir, les coûts associés au trajet et la sécurité sur le chemin influent sur la décision de se rendre au centre de soins.

Dans le témoignage d'une patiente de Ndinguiri, elle souligne « [Quand] ton traitement est fini aussi tu ne sais pas comment faire pour payer le transport … Actuellement tout demande de l’argent … parfois les rebelles sortent, ainsi que des mauvaises personnes (braqueurs) sortent en chemin…ils nous [bloquent l’accès] du lieu de notre traitement … Ce n’est pas normal, mais c’est pour cela que nous craignons d’aller [à la clinique] actuellement. »

Ensuite, une fois sur place, l'environnement de la structure de soins, l'organisation de l’accueil des patients, le temps d'attente pour les services et la qualité perçue des soins jouent un rôle crucial dans l’engagement des personnes vivant avec le VIH. Selon Pascale Lissouba, un problème majeur soulevé par les personnes interrogées est le manque de choix dans les approches différenciées pour l'approvisionnement en traitement antirétroviral et les délais d’attente. Bien que le personnel de santé soit conscient de ces problèmes, il se trouve dans l'incapacité d'y remédier efficacement :

« Le problème c’est qu’on est débordé par le travail…on ne peut pas [répondre aux] besoins de nos patients… si les patients sont nombreux on leur dit de patienter ou de revenir le lendemain matin, et le lendemain s’ils reviennent mais [lorsqu’on reçoit] la personne qui est arrivée [avant elle], cela devient un problème…. Nous avons besoin de [plus de] personnes pour nous aider à améliorer le travail. »

 

Se nourrir : une priorité qui éclipse les autres besoins

Il apparaît important de renforcer l’information des patients pour qu'ils comprennent mieux leurs traitements, tout en mettant en œuvre des efforts supplémentaires pour retrouver et soutenir ceux qui ont interrompu leur traitement, en mobilisant par exemple des associations de patients. Cependant, ce qui ressort le plus, c'est le besoin prioritaire de se nourrir pour les personnes vivant avec le VIH, qui passe avant le suivi de leur traitement, voire met en péril la prise de celui-ci.

« On me dit de prendre mon traitement TAR le soir, [mais] du matin jusqu’au soir je ne trouve rien à manger jusqu’à même dormir le ventre vide, parfois sans manger je prends mon TAR, parfois j’ai vraiment faim, [alors] je ne prends pas mon TAR » déplore un patient.

De nombreux patients rapportent avoir dû s’éloigner de leur lieu de soins et donc interrompre le traitement afin de trouver une activité génératrice de revenus pour subvenir aux besoins de leur famille.

Selon le coordinateur médical de MSF du projet à Bangui, le Dr jean Buledi Ngoy, « diverses mesures ont déjà été mises en place pour faciliter l'accès au traitement et améliorer le suivi des personnes vivant avec le VIH. La collaboration continue avec le ministère de la Santé et se poursuit afin d'apporter des solutions concrètes et poursuivre la lutte contre le VIH à Carnot en RCA. »

Car bien que récemment les données nationales officielles montrent une diminution de la prévalence et de la mortalité liées au VIH, des lacunes demeurent quant à la connaissance du statut VIH des patients et à l'accès aux traitements. Les infrastructures de santé, surtout dans les zones rurales, ne sont pas suffisamment développées pour répondre aux besoins croissants des personnes vivant avec le VIH. De plus, le financement limité entrave l'efficacité des programmes de prévention et de traitement. Et La stigmatisation et la discrimination liées au VIH restent un obstacle majeur, décourageant de nombreuses personnes de se faire dépister ou de rechercher des soins. Cette atmosphère d'exclusion peut aboutir à des réticences profondes chez les patients, comme l'exprime une patiente activement engagée dans les soins de Carnot :

« Si tu as seulement cette maladie c’est fini pour toi, ils ne vont plus te compter dans la société … tu es déjà un cadavre ».

 

 

© Adrienne Surprenant
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Video FR JS204 Valentina Carnimeo & Pascale Lissouba

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