Comment rendre l'épidémiologie et la recherche médicale plus durable ?
Fin 2021, Epicentre s’est engagé à réduire de 50 % son empreinte carbone d’ici 2030, en prenant 2019 comme année de référence. L’évaluation initiale, effectuée selon les normes ISO 14064 et le GHG Protocole (1), a montré que l'empreinte carbone totale en 2019 était de 3891 tCO₂e. Cette empreinte provenait à 89 % des déplacements du personnel (56 %), des achats (23 %) et de la consommation énergétique (10 %). Les voyages en avion représentaient une part importante, à savoir 45 % de l’empreinte, et plus de 11 millions de kilomètres parcourus, dont 80 % en long-courrier.
Premières actions et feuille de route
Pour atteindre son objectif de réduction, Epicentre a élaboré avec l’ONG Climate Action Accelerator une feuille de route climat et environnement comprenant 24 mesures concrètes. Parmi ces actions prioritaires, on trouve la diminution du nombre de kilomètres parcours par air, la transition vers des énergies renouvelables, la mise en place de critères environnementaux d’achats exigeants, la maximisation du passage du fret aérien au fret maritime pour l’approvisionnement de ses projets, la réduction et le recyclage des déchets et notamment la limitation des plastiques à usage unique.
Focus sur les voyages aériens
Étant donné la part importante des voyages aériens dans son bilan carbone, Epicentre a concentré ses efforts sur cet aspect, notamment en suivant de près l’empreinte de ses voyages (pour le moment en excluant les déplacements de stagiaires des formations qui figurent dans l’empreinte de 2019, mais pour lesquels l’organisation n'intervient pas). En 2019, ces trajets représentaient 1205 tCO₂ et 7,5 millions de km parcourus. En 2022, ces chiffres sont passés à 618 tCO₂ et 2,8 millions de km, et en 2023 à 322 tCO₂ et 1,9 million de km. Cela représente une réduction de 75 % des kilomètres parcourus et de 73 % des émissions de CO₂, sans diminution des activités.
Cette baisse spectaculaire s'explique par plusieurs facteurs. En premier lieu, l’année 2019 a été marquée par des événements spécifiques, tels que l'épidémie d'Ebola et un essai vaccinal contre Ebola en République démocratique du Congo, ainsi que par une résurgence de la rougeole dans la région, entraînant de nombreux déplacements d’épidémiologistes sur le terrain.
Ensuite, des facteurs conjoncturels ont également joué un rôle, tels que la limitation des déplacements au Niger à la suite du coup d'État de l'été 2023. Enfin, des évolutions structurelles, tant individuelles que collectives, ont contribué à cette baisse : renforcement des compétences locales, limitation des déplacements des épidémiologistes liés à des changements faisant suite à la pandémie de Covid-19, diminution de la participation physique aux conférences internationales, recours accru aux visioconférences pour maintenir les interactions, et choix privilégié du train pour les déplacements en Europe.
Les efforts en ce sens doivent se poursuivre. Ainsi, une politique de voyage est en cours de finalisation et une réflexion est envisagée quant aux lieux de nos formations. L’application développée par l’équipe de Data science d’Epicentre devrait aider à identifier le lieu le plus éco-responsable en fonction de l’endroit d’où viennent les participants des formations, mais d’autres évènements également.
Optimisation des déplacements et des structures
Dans le centre Epicentre de Mbarara en Ouganda, une réorganisation des trajets récurrents vers la capitale et l’aéroport a permis une réduction de 30 à 40 % du nombre de déplacements. Par ailleurs, l’achat de véhicules citadins plus économes en carburant a contribué à limiter l’impact environnemental. Des analyses sont également en cours dans les centres Epicentre du Niger et d’Ouganda pour optimiser la consommation énergétique (panneaux solaires, isolation des bâtiments) et améliorer le tri des déchets.
Impact carbone des études médicales
Au-delà du calcul de l’empreinte par source d’émission, Epicentre a aussi évalué l'impact carbone de deux études :
- un essai clinique sur le fractionnement des doses de vaccins contre la fièvre jaune (YEFE) qui s’est déroulé sur 133 mois en Ouganda (incluant la durée de conservation de l'échantillon) ;
- une étude de la séroprévalence de la rougeole (SeroP) d’une durée de 68 mois (incluant la durée de conservation de l'échantillon) au Niger.
En termes d'émissions de CO₂e, l'étude YEFE a généré un total de 513 tCO₂e, tandis que l'étude SeroP en a produit 43 tCO₂e. Dans l'étude YEFE, les émissions se répartissent ainsi : 32 % attribué au personnel, 15 % pour les analyses de laboratoire et 24 % pour les déplacements du personnel (nationaux et internationaux) et des participants. Le stockage des échantillons à -80°C, entre congélateurs et climatiseurs, représente 10 % de l'empreinte totale (soit 52 tCO₂e).
Pour l’étude SeroP, qui est plus courte et moins complexe, 47 % (20,6 tCO₂e) des émissions sont attribuées au stockage à long terme d’échantillons biologiques à -80°C, un phénomène probablement accentué par la forte dépendance à une électricité majoritairement carbonée au Niger.
Vers une recherche médicale durable
Pour limiter cette empreinte carbone, plusieurs pistes peuvent être explorées :
- Optimisation du stockage des échantillons :
- Améliorer l’isolation des bâtiments et privilégier l'utilisation de l’énergie solaire
- Réduire la durée et optimiser les sites de stockage
- Action au niveau des déplacements :
- Au niveau national : Encourager l’utilisation de véhicules à faible émission de carbone.
- Au niveau international : Continuer à renforcer les compétences locales et les infrastructures pour réaliser davantage d’analyses biologiques sur place, réduisant ainsi les déplacements internationaux.
En abordant par ce prisme les activités, d’autres solutions devraient voir le jour qui viendront compléter les 24 figurant dans la feuille de route.
En effet, la problématique se doit d’être abordée plus globalement et conduire à une réflexion sur nos pratiques en termes d’épidémiologie, de recherche médicale et de formation. Cette approche holistique qui dépasse une vision par source d’émissions – transport, bâtiment, gestion des déchets – doit permettre de trouver des solutions innovantes et plus pérennes.
(1) protocole international proposant un cadre pour mesurer, comptabiliser et gérer les émissions de gaz à effet de serre
Crédit Photo : Moses Sawasawa