Comprendre et améliorer la prise en charge du Kwashiorkor : résultats d'une étude en RDC et au Mali

Mercredi 19 mars 2025
Malnutrition
Introduction
Le Kwashiorkor, une forme sévère de malnutrition touchant les jeunes enfants, reste mal compris, tant sur le plan clinique que socioculturel. Découvrez les enseignements d'une étude quantitative et qualitative menée en RDC et au Mali, qui éclaire les défis du diagnostic et de la prise en charge de cette pathologie complexe.
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kwashiorkor DRC
Corps éditorial

Le Kwashiorkor est une forme aiguë et sévère de malnutrition, principalement causée par un apport insuffisant en protéines. Cette maladie, qui touche particulièrement les jeunes enfants, se manifeste notamment par des œdèmes bilatéraux des membres inférieurs. De nombreuses questions subsistent sur la description clinique des enfants atteints, la nature des œdèmes et les facteurs socioculturels influençant leur prise en charge.

Pour combler ces lacunes, Epicentre a mené une étude quantitative entre octobre 2016 et novembre 2017 sur deux sites : à Rutshuru, en République démocratique du Congo (RDC), et à Koutiala, au Mali. Elle a ensuite été complétée par une étude qualitative auprès des agents de santé, afin d’explorer leurs perceptions, leurs pratiques et les enseignements tirés de leur expérience dans la prise en charge des enfants atteints de Kwashiorkor.

Des données clés sur la prise en charge médicale

Au total, 1 611 enfants âgés de 6 à 59 mois ont été inclus dans cette étude, dont 16 % en RDC et 49 % au Mali présentaient des œdèmes de degré 3, la forme la plus sévère. Parmi eux, 70 % en RDC et 52 % au Mali avaient été diagnostiqués comme souffrant de malnutrition aiguë sévère à l’aide de critères MUAC (périmètre brachial) ou Z-score.

Les résultats ont également montré que plus de la moitié des enfants hospitalisés recevaient peu ou pas de repas contenant des protéines avant leur admission. Par ailleurs, une protéinurie a été détectée chez 45 % des enfants à Rutshuru et 8 % à Koutiala.

7 % des enfants inclus dans l’étude sont décédés pendant l’hospitalisation. Les analyses ont révélé des différences significatives entre les sites :

  • Au Mali, la mortalité était associée aux œdèmes de degré 3, à la protéinurie et aux signes de malnutrition aiguë.
  • En RDC, seule la protéinurie était corrélée à une mortalité élevée.

« Ce constat nous avait amené à recommander la détection systématique de la protéinurie à l’admission chez tous les enfants avec œdème, rappelle Jihane Ben-Farhat, responsable de l’étude et épidémiologiste à Epicentre. Mais au-delà des résultats, nous avons constaté que les agents de santé exprimaient des opinions divergentes sur les causes et le traitement des œdèmes bilatéraux, y compris ceux liés au Kwashiorkor. Cette observation nous a conduits à réaliser une étude qualitative, la première dans ces sites, afin de documenter les perceptions et pratiques des agents de santé face aux œdèmes nutritionnels, en tenant compte des contextes socioculturels. »

Perceptions des agents de santé

Dans les deux sites, les agents de santé associaient majoritairement les œdèmes bilatéraux à la malnutrition ou à l’« œdème nutritionnel ». Cependant, établir un diagnostic différentiel restait un défi majeur. 

Comme l’a souligné un participant : « Dans un monde idéal, le Kwashiorkor est diagnostiqué lorsque les autres causes possibles d'œdème ont été éliminées. Mais dans notre contexte, c'est d'abord très difficile, ensuite les gens ont tellement l'habitude de dire « il y a de la malnutrition, il y a des œdèmes, c'est le Kwashiorkor. » »

Ainsi, les enfants sont souvent traités d’emblée pour un œdème nutritionnel, sauf en cas de signes clairs d’une autre pathologie.

Freins à l'accès aux soins

Selon les agents de santé, plusieurs obstacles empêchent une prise en charge précoce :

  • Accessibilité : le coût des transports et des centres de santé, auquel s’ajoute les difficultés d’accès aux centres de santé en RDC, sont des freins pouvant expliquer que les enfants arrivent tardivement.
  • Méfiance : Un manque de confiance envers les structures de soins pousse parfois les familles à privilégier les traitements traditionnels.
  • Facteurs socio-culturels : Les décisions concernant la santé de l’enfant sont souvent prises par le patriarche, tandis que la mère, responsable de l’accompagnement à l’hôpital, peut manquer de soutien.

Recommandations pour améliorer la prise en charge

Les agents de santé ont identifié plusieurs domaines prioritaires pour renforcer la lutte contre le Kwashiorkor :

  1. Renforcement de la prévention : Sensibilisation des familles, en particulier des mères, sur les causes et les signes de la maladie.
  2. Standardisation des diagnostics : Élaboration de protocoles clairs pour distinguer le Kwashiorkor des autres pathologies.
  3. Collaboration renforcée : Une meilleure coordination au sein des équipes médicales et plus de dialogue avec les communautés locales et les tradipraticiens. 
  4. Ressources humaines : Recrutement de personnel médical supplémentaire, spécialisé dans la prise en charge de la malnutrition aiguë.
  5. Investissement dans la recherche : Approfondir les connaissances sur les facteurs de risque et les approches thérapeutiques.

Un agent de santé a particulièrement insisté sur l’importance d’impliquer les mères dans le processus de soin :

« L'équipe médicale est trop concentrée sur les soins et oublie souvent la mère. Pour moi, nous devrions mettre davantage l'accent sur la sensibilisation de la mère, en lui expliquant la maladie dont souffre son enfant, mais aussi en lui expliquant comment éviter ce type de pathologie. »

Une approche globale pour des soins adaptés

« Cette étude met en lumière non seulement les aspects cliniques du Kwashiorkor, mais aussi les influences socioculturelles et organisationnelles sur sa prise en charge, conclut Giulia Scarpa, chercheuse en méthodes mixtes à Epicentre et à l’université de Leeds. Améliorer la prévention, le diagnostic et l’accès aux soins nécessite une approche globale, intégrant les familles, les communautés et les agents de santé. »

En renforçant ces aspects, il est possible de réduire les taux de mortalité liés au Kwashiorkor et d’assurer une meilleure prise en charge des enfants les plus vulnérables.

Crédit photo Laora Vigourt/MSF

Lire la publication

Understanding the medical challenges for the diagnosis and treatment of bilateral pitting oedema in children: a qualitative study.

Référence de l'article: PLOS global public health 2025 ; 5(3); . doi: 10.1371/journal.pgph.0004125. Epub 2025 03 18
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