Vaccination ciblée contre l’hépatite E au Soudan du Sud : Bilan d’une campagne dans la région de Fangak
Vous avez dirigé une étude sur le terrain lors d'une épidémie d'Hépatite E à Old Fangak au Soudan du Sud. Pourriez-vous nous parler des principaux défis rencontrés pendant cette étude?
Joe Aumuller : L’épidémie d’hépatite E qui a frappé le comté de Fangak a constitué un défi monumental, tant pour la campagne de vaccination que pour l’étude que nous avons menée en parallèle avec Epicentre. Le premier obstacle majeur fut la mobilité de la population. La région est en proie à des inondations et à des troubles civils, ce qui a conduit de nombreuses personnes à se déplacer entre différents villages du Soudan du Sud. Beaucoup des femmes que nous ciblions pour la vaccination recevaient leur première dose dans un village et leur deuxième dose ailleurs, ce qui a rendu difficile l’estimation précise de la couverture vaccinale.
Notre étude a évalué non seulement la couverture des femmes âgées de 16 à 45 ans ciblées par la campagne, mais aussi les perceptions et les expériences des hommes, des personnes d'âges différents, des personnes impliquées dans la campagne de vaccination et des membres de la hiérarchie sociale locale. Malgré l'acceptation du vaccin, nous avons constaté une résistance face à la stratégie ciblant exclusivement les femmes âgées de 16 à 45 ans.
Les structures sociales patriarcales ont compliqué les interactions avec les femmes, car dans certaines familles, ce sont les hommes ou les chefs de ménage qui répondaient à leur place, même si la femme éligible était présente.
Quels ont été les autres obstacles logistiques et culturels auxquels vous avez été confrontés lors de cette étude ?
Joe Aumuller : Les conditions sur le terrain étaient extrêmement difficiles. L'accès à certains villages s'est avéré problématique en raison des marécages inondés et des zones d'herbes hautes sans routes ni infrastructures de transport. Dans les régions les plus reculées, les équipes ont été contraintes de passer la nuit dans la brousse en raison des trajets en bateau de plusieurs jours afin d'atteindre les participants à l'étude.
Nous avons également rencontré des difficultés pour recruter des femmes dans nos équipes d'enquête, ce qui peut avoir joué un rôle dans l'accès et les informations partagées lors des entretiens concernant les perceptions des femmes, l'état de la vaccination, les effets secondaires du vaccin et la grossesse. Dans de nombreuses communautés, les femmes sont réticentes à parler ouvertement de leur état de santé, en particulier devant les hommes.
Un autre défi est que les activités de recrutement et d’étude étaient programmées durant la journée. Or, à ces heures-là, de nombreuses femmes étaient occupées par des tâches quotidiennes comme la récolte de nénuphars ou la vente de produits locaux. Cela a probablement contribué à la faible participation, en particulier parmi les femmes non vaccinées, qui étaient déjà difficiles à recruter.
Malgré ces défis, quels sont les principaux résultats de cette étude ?
Joe Aumuller : Les résultats de l’étude sont surprenants, mais encourageants. Nous avons observé une couverture vaccinale élevée : 94 % des femmes éligibles ont reçu au moins une dose du vaccin contre l’hépatite E, tandis que 77 % ont complété la série de deux doses, selon les rappels ou les cartes de vaccination. Cependant, la couverture confirmée par carte vaccinale était plus faible, avec 67 % pour une dose et 53 % pour deux doses. Nous avons aussi documenté un taux relativement élevé de nouveaux symptômes dans les 72 heures suivant la vaccination, parmi lesquels la fièvre, les maux de tête et la fatigue étaient les plus fréquents.
Il est important de souligner que, malgré quelques critiques envers la stratégie de vaccination ciblant uniquement les femmes, la campagne a réussi à atteindre un grand nombre de femmes, ce qui témoigne d’une réelle crainte du virus et d’une acceptation générale du vaccin. En outre, MSF a observé moins de cas graves à l'hôpital Old Fangak depuis la vaccination. Ce succès reflète l’efficacité de la sensibilisation, même dans un contexte aussi complexe que celui du projet de Old Fangak.
Quelle leçon tirez-vous de cette expérience sur le terrain ?
Joe Aumuller : Cette étude nous rappelle l'importance d'adapter les stratégies de vaccination et de recherche aux réalités locales, à la fois logistiques et culturelles. Travailler dans des contextes aussi éloignés, avec des infrastructures limitées et des populations mobiles, exige une flexibilité que nous avons parfois du mal à atteindre. Il est aussi essentiel de préparer et prendre en compte des éléments contextuels clés tels que la dynamique du genre, la logistique et les données géographiques limitées dès le début de la planification des études pour éviter des biais et les problèmes dans la collecte des données. Cela nous permettra d'améliorer la portée et l’efficacité des futures interventions, tout en renforçant notre compréhension des barrières sociales à la vaccination.
©Brienne Prusak