Première évaluation d’une campagne de vaccination de masse contre l’hépatite E

Mardi 30 janvier 2024
Hépatite E
Introduction
La première étude en condition réelle à la suite d’une vaccination contre l’hépatite E en situation épidémique qui s’est déroulée dans le camp de Bentiu au Soudan du Sud fait état dans Plos Negleted Tropical Diseases d’une bonne acceptabilité du vaccin et de l’absence d’effets secondaires graves. Ces résultats redonnent l’espoir face à cette maladie pour laquelle il n’existe aucun traitement et qui peut être considérée comme une maladie négligée puisqu’elle touche les populations les plus vulnérables et bénéficie de très peu de financement.
Bannière
Hepatite E vaccination Bentiu
Corps éditorial

Cause la plus fréquente d'hépatite virale aiguë, l’hépatite E provoque environ 20 millions d'infections et 44 000 décès par an (1) principalement dans les populations les plus vulnérables. Le virus à l’origine de l’hépatite E se transmet par la contamination fécale des aliments et de l'eau. Un manque d’accès à l’eau potable, un assainissement déficient de l’eau et une mauvaise hygiène, comme cela est souvent observé dans les camps de déplacés, créent donc les conditions idéales à la survenue de vastes épidémies. C’est ce qui a notamment été observé dans le camp de Bentiu dans l'État d'Unity au Soudan du Sud. Exposé à des épidémies d’hépatite E depuis 2015, ce camp qui compte environs 112 000 personnes, a vu la situation s’aggraver en 2021 par suite des inondations extrêmes et de l’afflux de personnes déplacées.

Pour endiguer l’épidémie, le ministère de la Santé du Soudan du Sud a demandé à MSF de mener en 2022 une campagne de vaccination dans le camp. Face à la difficulté de mettre en œuvre des solutions d’assainissement de l’eau dans ce contexte, la vaccination est la seule « arme » à disposition puisqu’il n'existe pas de traitement spécifique pour l'hépatite E dont le taux de mortalité peut dépasser 25 % chez les femmes enceintes. L'hépatite E accroit également le risque d'avortements spontanés et de naissances d'enfants mort-nés.

Le seul vaccin disponible contre l'hépatite E, Hecolin©, a fait preuve d’efficacité dans la prévention de la maladie lors d'essais cliniques. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande depuis 2015 son utilisation pour limiter ou prévenir les épidémies d'hépatite E, ainsi que pour atténuer les conséquences dans les groupes à haut risque, tels que les femmes enceintes. Cependant, jusqu'à présent, il n'avait été administré qu'à titre individuel en Asie, où il est autorisé et utilisé pour vacciner les voyageurs. La campagne de vaccination à Bentiu a été la première au monde à recourir à ce vaccin dans le cadre d’une épidémie.

Première évaluation en situation épidémique

Afin de documenter et de compléter les informations sur ce vaccin, Epicentre a recueilli des données sur la couverture et l’acceptation vaccinales et poursuit actuellement les analyses sur l'efficacité et la sécurité de ce vaccin en conditions réelles.

« Au total, 39 764 personnes ont reçu la première dose, 26 110 deux doses et 14 293 les trois doses », détaille Robin Nesbitt, épidémiologiste à Epicentre.

A la fin du 3e tour de vaccination, des entretiens ont été menés auprès d’un échantillon représentatif de 1599 personnes éligibles à la vaccination. Il en ressort que 86 % de la population éligible au vaccin a reçu au moins une dose, 73 % au moins deux doses et 58 % les 3 doses. Aucune différence significative dans la couverture vaccinale selon le sexe, l'âge ou le lieu de résidence dans le camp n’a été mise en évidence.

 

Peu de réticence vaccinale et peu d’effet secondaire

60 % des personnes non vaccinées le justifient par leur absence ou leur indisponibilité au moment de la campagne de vaccination. La peur des aiguilles ou des effets secondaires du vaccin ne sont que rarement mentionnés.

« Très peu de réticence vis-à-vis du vaccin a été notée, ce qui peut en partie s’expliquer par le fait que les gens connaissent l'hépatite E et ses conséquences à la suite des épidémies d'hépatite E dans le camp de déplacés de Bentiu, mais aussi d’autres épidémies, » note Iza Ciglenecki, coordinatrice de la recherche opérationnelle à MSF Suisse.

Une étude qualitative révèle d’ailleurs que tous les participants aux groupes de discussion ont eu une expérience personnelle de la maladie, soit parce qu'ils étaient eux-mêmes malades, soit parce qu'ils connaissaient quelqu'un. »

Moins d’une personne sur 8 a mentionné la survenue d’effet secondaire dans les 72h après la première dose et le plus souvent il s’agissait de fièvre ou de douleur au site d’injection. C’est malgré tout plus que ce les systèmes de surveillance avaient relevé, ce qui pourrait s’expliquer par le caractère modéré de ces symptômes ne justifiant pas le besoin pour ces personnes d’aller consulter.

Dans l’ensemble, la campagne de vaccination a été bien accepté par la population du camp de Bentiu et peu d’effets secondaires sont à déplorer. Les épidémiologistes analysent désormais les données – encore insuffisamment documentées à ce jour – sur l'innocuité d'Hecolin® chez les femmes enceintes.

Une nouvelle campagne de vaccination de masse dans des communautés isolées cette fois au Soudan du Sud

Fort de cette première campagne de vaccination encourageante, fin 2023, MSF a lancé une nouvelle campagne de vaccination à Fangak, l’une des zones les plus reculées du Soudan du Sud, qui se transforme pendant la saison des pluies en un gigantesque marécage, et où une épidémie d’hépatite E a été officiellement déclarée par le ministère de la santé local en septembre 2023. Depuis la détection du premier cas en avril 2023, 20 décès principalement chez des femmes enceintes sont à déplorer en date du 14 janvier. Face au risque encouru pour les femmes enceintes, la campagne cible uniquement les femmes âgées de 16 à 45 ans. Au-delà du défi logistique que cela représente, cette campagne qui se déroule dans un autre contexte va aussi faire l’objet d’une nouvelle étude par Epicentre : elle comprendra une enquête de couverture vaccinale, une surveillance passive des effets indésirables, une étude qualitative sur l'acceptation de la stratégie visant à cibler uniquement les femmes, ainsi qu'une description de l'épidémie à l'aide de données collectées dans la liste linéaire à l'hôpital MSF.

Si ces deux études participent à combler les données parcellaires disponibles à ce jour sur la maladie et le vaccin disponible, l’hépatite E reste toutefois négligée par la recherche. Les ressources allouées sont loin d’être en adéquation avec les enjeux.

« Les épidémies d'hépatite E surviennent dans les pays à faible revenu, au sein de populations souvent isolées et affectées par des conflits, décrit Etienne Gignoux, Directeur du département Epidémiologie et formation d’Epicentre et impliqué dans plusieurs projets sur l'hépatite E. La recherche sur les traitements est quasi inexistante. Un seul vaccin est disponible, et il n'avait jamais été évalué en conditions épidémiques avant 2022. Il est urgent de développer des stratégies vaccinales réactives et préventives pour les personnes les plus à risque et de meilleurs traitements, mais aussi d’améliorer les connaissances sur cette maladie et de son impact. »

La préqualification du vaccin par l'OMS ne résoudra pas tous les problèmes. Ainsi pour le moment le vaccin n'est pas autorisé pour les personnes de moins de 16 ans. Or comme le rappelle Robin Nesbitt « Nous avons constaté à Bentiu que beaucoup d’enfants développent des formes graves. » De nombreuses inconnues demeurent donc sur cette maladie. Une reconnaissance de l’hépatite E comme maladie tropicale négligée pourrait « contribuer à briser ce cercle de négligence en accélérant les progrès de la recherche et les actions de santé publique et en plaçant les épidémies d'hépatite E au rang des priorités de la santé mondiale » comme l’expliquaient déjà Iza Ciglenecki et d’autres auteurs dans un article paru dans Plos Neglected tropical disease en 2019 (2).

 

  1. https://www.who.int/news-room/fact-sheets/detail/hepatitis-e#:~:text=Key%20facts,symptomatic%20cases%20of%20hepatitis%20E.
  2. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6657817/

 

© Peter Caton
Video
Légende
Innocuité de la vaccination contre l'hépatite E pendant la grossesse après une première campagne de vaccination réactive à Bentiu au Soudan du Sud | Robin Nesbitt

Pour plus d'information, contactez :

Référence profils

Vaccination coverage and adverse events following a reactive vaccination campaign against hepatitis E in Bentiu displaced persons camp, South Sudan.

Référence de l'article: PLoS neglected tropical diseases 2024 Jan 22; 18(1); . doi: 10.1371/journal.pntd.0011661. Epub 2024 01 22

The first reactive vaccination campaign against hepatitis E.

Référence de l'article: The Lancet. Infectious diseases 2022 Aug ; 22(8); . doi: 10.1016/S1473-3099(22)00421-2. Epub 2022 07 26
Voir plus

Pour en savoir plus

Première campagne réactive de vaccination de masse contre l'hépatite E à Bentiu, au Soudan du Sud

L'hépatite E entraîne une mortalité élevée chez les femmes enceintes, avec un risque de létalité de 10 à 25 %, et de conséquences ...