Vaccin contre l’hépatite E : une étude en conditions réelles confirme l’efficacité du schéma à deux doses et son innocuité pour les femmes enceintes
Une fois les essais cliniques achevés, un vaccin entre dans une phase essentielle : son évaluation en conditions réelles. Ces études permettent de mieux comprendre les performances du vaccin dans des contextes moins contrôlés, sans critères d’exclusion stricts ni suivi intensif des participants. En ce qui concerne les femmes enceintes, les données étaient auparavant extrêmement limitées, reposant principalement sur quelques cas de femmes vaccinées par inadvertance lors des essais contrôlés randomisés. Cependant, l'OMS recommande de vacciner les femmes enceintes dans des situations à haut risque en raison de leur vulnérabilité particulière. Par ailleurs, dans les contextes humanitaires, la mise en œuvre des schémas vaccinaux est souvent compliquée par des contraintes logistiques, notamment le nombre de doses nécessaires et les délais entre celles-ci.
« Ces défis rendent l’évaluation en conditions réelles indispensable pour adapter les stratégies vaccinales aux populations les plus exposées. » explique Iza Ciglenecki, coordinatrice de la recherche opérationnelle à MSF Suisse.
Première évaluation en situation épidémique
En 2022, Médecins Sans Frontières (MSF) et Epicentre ont saisi l’opportunité de la première campagne de vaccination de masse lors de l’épidémie d’hépatite E dans le camp de Bentiu, au Soudan du Sud pour collecter des données en conditions réelles sur l’innocuité et l’efficacité du vaccin Hecolin© (HEV239). Les données ont ensuite été analysées en collaboration avec Hôpitaux Universitaires de Genève
Cette campagne, réalisée à la demande et en collaboration avec le ministère de la Santé du Soudan du Sud, a suivi le schéma vaccinal recommandé par le fabricant : une première dose, suivie d’une deuxième un mois plus tard, puis d’une troisième à six mois. À l’issue du troisième tour de vaccination, des entretiens ont été menés auprès d’un échantillon représentatif de 1 599 personnes éligibles. Les résultats montrent que 86 % de la population éligible a reçu au moins une dose, 73 % au moins deux doses, et 58 % les trois doses.
Cette décroissance au fil des doses ne reflète pas un manque d’adhésion de la population, mais s’explique principalement par l’indisponibilité des personnes lors des campagnes, en raison de la forte mobilité au sein des camps de personnes déplacées à l'intérieur du pays. Cela souligne le défi logistique de mettre en œuvre un schéma à trois doses, particulièrement lorsque la troisième doit être administrée six mois après la première.
Dans ce contexte, l’étude a permis d’estimer l’efficacité d’un schéma vaccinal à deux doses.
« Nos résultats révèlent une efficacité modérée à élevée dans la prévention de l'hépatite E avec seulement les deux premières doses, explique le responsable de l'étude Andrew Azman, des Hôpitaux universitaires de Genève et de la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health.
C’est une découverte significative pour les contextes épidémiques où les contraintes logistiques rendent difficile le respect du schéma à trois doses. Ce résultat, publié dans la revue The Lancet Infectious Diseases en novembre, ouvre la voie à l’utilisation d’un schéma à deux doses, mieux adapté aux situations d’urgence où les infrastructures sanitaires sont limitées. »
Protéger les femmes enceintes : Une priorité
Parmi les groupes les plus vulnérables à l’hépatite E figurent les femmes enceintes, avec un taux de mortalité pouvant dépasser 30 % lors des épidémies et un risque accru d'avortements spontanés et de naissances d'enfants mort-nés.
Afin de documenter l'innocuité de ce vaccin pour les femmes enceintes, Epicentre a conduit une étude sur plus de 3 000 femmes enceintes, vaccinées ou non, résidant dans le camp de Bentiu. L’étude avait pour objectif principal de vérifier si la vaccination augmentait le risque de perte fœtale.
« Nous avons ainsi apparié les participantes vaccinées et non vaccinées de profil similaire (selon des critères tels que l'âge et l'âge gestationnel), ce qui nous a permis d'estimer le risque de perte fœtale chez les femmes vaccinées par rapport à celles qui ne l’étaient pas, » détaille Étienne Gignoux, co-responsable de l’étude, directeur du département épidémiologie d’intervention et formation d’Epicentre.
En comparant les groupes, les chercheurs n’ont relevé aucune augmentation significative du risque de perte fœtale liée à la vaccination.
« Ces résultats, publiés dans The Lancet Global Health en novembre, sont vraiment rassurants, car ils apportent la preuve de l'innocuité du vaccin pour un grand nombre de femmes enceintes vaccinées, » souligne Iza Ciglenecki.
Avant la réalisation de cette étude, les seules informations disponibles provenaient d'un petit nombre de femmes vaccinées par inadvertance lors d’essais en Chine.
Vers des changements de politique de santé publique
Ces résultats ont contribué aux récentes recommandations du Groupe consultatif stratégique d'experts (SAGE) de l’OMS. En mars 2024, le SAGE a préconisé de vacciner en priorité les femmes en âge de procréer dans les régions où l’hépatite E est endémique (1). Le groupe a également validé l’option d’un schéma vaccinal à deux doses (à 0 et 1 mois) comme alternative acceptable au schéma à trois doses, particulièrement dans les zones fragiles ou en proie à des conflits. Par ailleurs, le Groupe international de coordination pour l’approvisionnement en vaccins a approuvé la constitution d’un premier stock mondial de vaccins contre l’hépatite E.
« Cette étude ouvre la voie à une utilisation plus large et plus sécurisée du vaccin dans les futures campagnes de vaccination, en particulier dans les contextes de crise humanitaire où l’hépatite E sévit. » note Iza Ciglenecki.
Si les conclusions actuelles renforcent la confiance dans le vaccin Hecolin©, elles ne clôturent pas pour autant les recherches nécessaires. « Il reste indispensable de poursuivre les travaux pour explorer le potentiel d’un schéma à dose unique, mais aussi l’innocuité chez les moins de 16 ans qui représentaient la majorité des cas de contamination à Bentiu » conclut Étienne Gignoux.
En associant sécurité et efficacité, le vaccin Hecolin© pourrait devenir un outil clé pour protéger les populations les plus vulnérables, tout en offrant des solutions adaptées aux défis des contextes épidémiques.
(1) https://www.who.int/publications/i/item/WER-9922-285-306
©Peter Caton