Améliorer le diagnostic de la tuberculose grâce à l'IA : les leçons d’une étude à Manille, Philippines
Quel était l'objectif de votre étude ?
Valentina Carnimeo : Notre étude visait à tester la faisabilité et l'acceptabilité d'une nouvelle technologie : la détection assistée par ordinateur (CAD), pour améliorer le dépistage de la tuberculose (TB) dans des contextes à ressources limitées et chez des populations vulnérables. Cette technologie utilise des algorithmes d'IA pour analyser les radiographies et détecter des signes évocateurs de la tuberculose. Nous voulions évaluer la faisabilité de la mise en œuvre du système CAD dans le cadre de la recherche active des cas au niveau communautaire, incluant un processus essentiel de calibration pour déterminer le seuil optimal au-delà duquel un test de confirmation de la TB doit être effectué. Cette évaluation a eu lieu dans un contexte où MSF intervient, à Tondo, un quartier densément peuplé de Manille aux Philippines.
Comment se fait le diagnostic de la TB et quels sont les défis ?
Valentina Carnimeo : Le diagnostic de la tuberculose est un processus complexe, nécessitant souvent plusieurs tests pour confirmer la présence de Mycobacterium tuberculosis, la bactérie responsable. L’OMS recommande l’utilisation de tests moléculaires, tels que le GeneXpert, qui bien qu’efficaces, nécessitent un laboratoire équipé et restent relativement coûteux.
Une radiographie pulmonaire peut être réalisée lorsque les personnes présentent des symptômes ou un risque élevé de tuberculose, afin de sélectionner les personnes à orienter vers ce test moléculaire. Toutefois, de nombreuses personnes atteintes de tuberculose ne présentent aucun symptôme et ne sont donc pas identifiées par cette approche, ce qui représente un défi majeur. En outre, l'interprétation des radiographies nécessite une expertise médicale qui fait souvent défaut dans les régions où MSF opère. Ces défis sont aggravés par la stigmatisation de la tuberculose, le manque d'information et la méfiance à l'égard des systèmes de santé, ce qui entraîne des difficultés d'accès au diagnostic et aux soins.
Sans diagnostic fiable et effectué en temps voulu, il est impossible d’instaurer un traitement contre la tuberculose active, ce qui permet à la maladie de se propager davantage.
Pourquoi MSF a opté pour la recherche active des cas à Tondo ?
Valentina Carnimeo : La recherche active des cas de tuberculose consiste en un dépistage de masse de la tuberculose dans l'ensemble de la communauté à l'aide de radiographies pulmonaires. Les personnes dont la radiographie pulmonaire est anormale subissent alors un test moléculaire de dépistage de la tuberculose. C’est une stratégie cruciale dans la lutte contre la tuberculose, notamment parce qu'elle permet de combler des lacunes importantes dans l'identification des cas de TB, en particulier dans les populations les plus touchées par la maladie. C'est pourquoi MSF en collaboration avec le Département de la Santé de Manille a opté pour la recherche active de cas dans les communautés. À Tondo, où suite à la pandémie de COVID les services de lutte contre la TB ont été fortement perturbés et où les conditions de vie favorisent la propagation de la maladie, MSF a utilisé cette méthode pour dépister la tuberculose. Grâce à la radiographie assistée par IA, nous avons pu mieux identifier les cas potentiels et ainsi leur proposer des examens supplémentaires, comme le test moléculaire GeneXpert.
Quels sont les enseignements à retenir de votre étude quant à l’utilisation du CAD ?
Valentina Carnimeo : Un aspect clé de notre étude a été d’évaluer et d’ajuster le seuil de sensibilité du score CAD pour déterminer à partir de quel seuil une personne devait subir des tests supplémentaires, notamment le test GeneXpert. Le CAD produit un score d'anomalie entre 0 et 100, indiquant la probabilité que la radiographie présente des signes évocateurs de tuberculose. À Tondo, nous avons commencé avec un seuil fixé à 25, ce qui signifiait qu'un test GeneXpert était nécessaire pour environ 35 % des personnes dépistées. Ce score a été ajusté en fonction des données collectées, passant progressivement à 28 puis à 32, afin d'optimiser l'équilibre entre la sensibilité de détection et la capacité des ressources disponibles pour confirmer les cas.
Quels ont été les résultats de votre étude ?
Valentina Carnimeo : Entre janvier et octobre 2023, nous avons dépisté plus de 12 000 personnes à Tondo, utilisant le CAD. Près de 8% des radiographies pulmonaires montraient des signes évocateurs d'une tuberculose active. Sur ce total, environ 4 151 tests GeneXpert ont été réalisés, avec un taux de positivité de 5.6% parmi tous les patients dépistés. Au final, près de 700 personnes ont été diagnostiquées avec la tuberculose, mais seulement 54% d'entre elles ont entamé un traitement. Cela montre qu'au-delà du diagnostic, il reste des défis importants liés à l'acceptation et au suivi des traitements par les patients, souvent à cause de la stigmatisation, de la peur du traitement, voire du manque de traitement.
Quelles sont vos conclusions ?
Valentina Carnimeo : Notre étude montre que l’utilisation du CAD associée au dépistage par radiographie pulmonaire est non seulement faisable, mais aussi que la méthode innovante que nous avons utilisée pour calibrer le CAD est efficace pour dépister la tuberculose dans des populations urbaines à haut risque comme à Tondo. Cette approche a permis d'atteindre des taux élevés de dépistage, avec une bonne acceptabilité de la part de la communauté. Cependant, le faible taux de patients qui ont effectivement commencé un traitement souligne la nécessité d'améliorer la sensibilisation, de lutter contre la stigmatisation, de renforcer l'engagement communautaire et d’assurer un accès au traitement pour assurer une prise en charge complète. Les résultats indiquent que cette technologie pourrait être déployée dans des contextes similaires, mais qu'il est essentiel d'accompagner cela d'efforts en termes d’accès au traitement.
© Ezra Acayan