Pourquoi les données sur le sexe, le genre et la grossesse sont essentielles en période d’épidémie ?

Lundi 20 janvier 2025
Introduction
Pendant les épidémies et les urgences de santé publique, les données relatives au sexe, au genre et à la grossesse sont souvent négligées au profit d’actions rapides. Pourtant, ces données jouent un rôle crucial pour garantir une réponse équitable et efficace. Explication par Emelie Yonally Phillips chercheuse en sciences humaines et auteure d’une analyse bibliographique sur ce sujet.
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DRC ©Newsha Tavakolian
Corps éditorial

Pourquoi les données sur le sexe et le genre sont-elles souvent négligées en période d’épidémie ?

Emelie Yonally Phillips : Lors des crises sanitaires, la priorité est généralement donnée à des interventions rapides pour limiter les impacts immédiats. Les décideurs se concentrent souvent sur des données génériques, comme le nombre total de cas ou de décès, sans tenir compte des disparités liées au sexe, au genre ou aux femmes enceintes. Cela peut sembler pragmatique à court terme, mais cela engendre des lacunes importantes qui peuvent prolonger les épidémies, aggraver les inégalités existantes et nous laissent des données limitées sur lesquelles fonder nos décisions futures en matière de réponse aux épidémies. Reconnaître la distinction entre le sexe et le genre, et collecter systématiquement des données et des indicateurs pertinents pour les deux, permet une analyse complète des questions de santé, y compris la manière dont les différences biologiques s'entrecroisent avec les facteurs sociaux et culturels pour façonner les expériences et les résultats en matière de santé.

Disposons-nous déjà d’un volume important de données dans ce domaine ?

Emelie Yonally Phillips : Avec des collègues, nous avons réalisé une revue de la littérature scientifique couvrant la période de 2012 à 2022. Cette analyse visait à identifier les publications incluant des données et des analyses sur le sexe, le genre et/ou la grossesse lors des épidémies dans les pays à revenu faible et intermédiaire.

Parmi des milliers d'articles évalués par des pairs, nous avons identifié 71 publications éligibles sur le choléra, la dengue, Ebola, le Zika et d'autres épidémies, principalement en Amérique et en Afrique et avec un focus majoritaire sur le Zika et Ebola. Cependant, en élargissant le champ d'étude pour inclure les recherches provenant de pays à revenu élevé et les rapports, nous trouvons encore plus de preuves de l'importance de prendre en compte les composantes liées au sexe et au genre dans les efforts de prévention et de réponse aux épidémies.

Quels sont les traits marquants liés au sexe et au genre qui ressortent ?

Emelie Yonally Phillips : Les données disponibles montrent clairement que le sexe et le genre jouent un rôle essentiel dans la dynamique des épidémies à tous les stades de la préparation et de la réponse aux épidémies. Ces facteurs influencent de nombreux aspects : les facteurs de risque, la vulnérabilité, l’accès et l’usage des services de santé, les comportements de recherche de soins, les options de prévention et de traitement, les expériences dans les établissements de santé, ainsi que les résultats et les conséquences sociales. Bien que les disparités liées au sexe et au genre se manifestent différemment selon la pathologie, la population et le contexte, elles ont toujours un impact significatif. Cela souligne l'importance d'adopter une approche intersectionnelle lors de l'analyse et de la prise en compte de la dynamique des épidémies.

Les communautés et les individus les plus exposés et les plus vulnérables à une maladie peuvent être influencés par une susceptibilité biologique accrue, des réactions physiologiques différentielles dues à des facteurs liés au sexe ou à la grossesse, ou peuvent refléter des disparités de genre dans les activités, les rôles, l'accès aux ressources et la dynamique du pouvoir. Par exemple, dans le cas de Zika, nous avons constaté une augmentation des risques biologiques de contracter la maladie par transmission sexuelle d'un homme à une femme. Ce risque était aggravé dans les contextes où les inégalités de genre rendaient les femmes plus vulnérables en raison des difficultés à négocier l'utilisation de préservatifs et des taux élevés de violence entre partenaires. De plus, les femmes enceintes faisaient face au risque le plus élevé de conséquences graves liées à l'exposition au Zika, et certains des contextes les plus touchés présentaient des taux de grossesses non désirées atteignant jusqu'à 50%.

D'autres exemples de disparités de genre en matière de risque et de vulnérabilité ont été observés avec Ebola et le Covid. Les femmes, qui représentent une part disproportionnée des soignantes, qu'elles soient informelles ou professionnelles, ont un accès plus limité à des équipements de protection individuelle (EPI) adéquats, comparé aux hommes occupant des rôles similaires.

L'accès et le recours aux soins de santé, ainsi que les comportements de recherche de soins, sont également influencés par le genre. Dans de nombreux contextes, les femmes accèdent plus fréquemment aux services de santé en raison des besoins liés à la santé sexuelle et reproductive (SSR) et sont plus souvent destinataires des messages de santé. En conséquence, les femmes peuvent être plus susceptibles que les hommes de bénéficier d'un dépistage précoce ou d'accéder aux services de santé lorsqu'elles présentent des symptômes. Cependant, les femmes peuvent également faire face à davantage de contraintes pour accéder aux établissements de santé, liées aux coûts, aux responsabilités en matière de garde d’enfants, à l’insécurité sur la route, à la nécessité d’obtenir une autorisation, etc. Les facteurs liés au genre, tels que la prise de décision au sein des ménages, les responsabilités domestiques, ainsi que les publics ciblés par les activités de sensibilisation à la santé, jouent également un rôle dans les soins de santé des enfants. Par exemple, les campagnes de sensibilisation à la vaccination des enfants s’adressent souvent aux mères, que ce soit dans les centres de santé ou lors de visites à domicile pendant la journée, alors que les hommes sont au travail. Ces approches ont pour effet d’exclure les décideurs des discussions tout en imposant une charge supplémentaire aux mères.

Le sexe et la grossesse peuvent également influencer les options de détection et de traitement, avec de plus en plus de preuves montrant que les symptômes des maladies peuvent se manifester différemment chez les femmes et les hommes en raison de différences biologiques et physiologiques. Les définitions des cas que nous utilisons sont souvent généralisées et ne prennent pas en compte ces différences, ce qui peut entraîner des disparités dans les taux de détection entre les sexes. Des preuves montrent également des différences entre les sexes en termes d'efficacité et de sécurité de certains vaccins ou traitements, bien qu'il subsiste d'importantes lacunes dans les données sur la sécurité et l'efficacité en fonction du sexe.

Bien que la plupart des données sur les distinctions entre genre et sexe concernent les phases précoces des maladies, celles-ci ne sont pas les seules concernées. Les effets à long terme des épidémies et des mesures de réponse mises en place peuvent aussi aggraver les inégalités de genre, notamment en augmentant les écarts d'accès à l'éducation entre les genres. Des différences sont également observées dans les effets à long terme sur la santé, les impacts sur la santé mentale et les conséquences sociales.

En résumé, le genre et le sexe joue un rôle déterminant dans la manière dont les maladies sont propagées, détectées, comprises et traitées, soulignant la nécessité de prendre en compte ces dimensions dans les réponses aux épidémies.

Quels sont les principaux points que vous avez relevés concernant les femmes enceintes lors des épidémies ?

Emelie Yonally Phillips : Les changements physiologiques liés à la grossesse modifient la sensibilité aux maladies, ce qui rend les femmes enceintes particulièrement vulnérables lors des épidémies. Elles présentent davantage de risque de contracter des maladies, de développer des formes graves, de subir des complications, et, dans certains cas, de décéder. À cela s’ajoutent les risques de complications pendant la grossesse, comme des fausses couches, des naissances prématurées ou des malformations congénitales.

Or, historiquement, les femmes enceintes ont souvent été exclues des campagnes de vaccination pour des maladies telles qu’Ebola, l’hépatite E et la fièvre jaune, en raison d’un manque de données sur l’innocuité des vaccins pendant la grossesse. Cette exclusion les prive de mesures essentielles de protection.

La grossesse influence également le diagnostic des maladies. Des taux plus élevés de détection sont observés pour certaine maladie chez les femmes enceintes, en raison de visites plus fréquentes dans des services de santé. Cependant, les symptômes de la grossesse peuvent aussi masquer ou modifier les symptômes de la maladie, ce qui les rend plus difficiles à détecter.

Lors des épidémies d'Ebola, les femmes enceintes se voyaient souvent refuser des soins obstétricaux jusqu'à l'obtention d'un test négatif, ce qui augmentait leur risque de complications graves non liées à Ebola. De plus, les femmes enceintes ont commencé à éviter les centres de santé par crainte de contracter Ebola, ce qui a entraîné des répercussions à long terme sur la santé maternelle et infantile dans ces régions.

Lors de l'épidémie de Zika en 2015, nous avons également pu constater que les mesures d'intervention peuvent accroître les vulnérabilités si elles ne tiennent pas compte du genre. Dans de nombreuses régions où les taux d'infection par le Zika sont les plus élevés, la contraception était peu accessible et socialement inacceptable, les avortements illégaux, et les messages de prévention mentionnaient rarement les risques de transmission sexuelle. Pendant cette période, les données montrent une forte augmentation des avortements clandestins en raison des craintes de malformations congénitales, telles que la microcéphalie chez le nourrisson.

Ces observations soulignent l’urgence de mieux intégrer les besoins des femmes enceintes et de leurs partenaires dans les stratégies de prévention, de diagnostic et de traitement lors des épidémies.

Quelles sont vos recommandations ?

Emelie Yonally Phillips : Cette étude met en lumière l’impact significatif, mais variable, du sexe, du genre et de la grossesse à chaque étape des épidémies. Elle révèle également des lacunes importantes dans la collecte de données sur ces aspects dans le cadre des réponses sanitaires.

Pour une réponse épidémique équitable et efficace, il est impératif de :

  • Renforcer la collecte systématique de données différenciées selon le sexe et d’indicateurs sensibles au genre ;
  • Intégrer des analyses intersectionnelles pour mieux comprendre les vulnérabilités cumulatives ;
  • Élaborer des politiques et des programmes sensibles aux dynamiques sexospécifiques afin de ne pas reproduire ou exacerber les inégalités.

Ignorer ces dimensions risque non seulement de limiter l’efficacité des interventions, mais aussi d’aggraver les inégalités existantes entre les sexes et de créer de nouveaux problèmes de santé.

 

©Newsha Tavakolian

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