Pandémie de Covid-19 : un coup d’arrêt dans la lutte contre le VIH ?

Lundi 26 septembre 2022
VIH Covid-19
Introduction
Une étude menée par Epicentre au Malawi et en Ouganda confirme l’impact délétère de la pandémie de Covid-19 sur la prise en charge et le suivi des personnes vivant avec le VIH.
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Dessin d'adolescents montrant des soldats qui frappent les gens dans la rue.
Corps éditorial

Début 2021, le Malawi et l’Ouganda semblaient pouvoir atteindre les objectifs 90-90-90 de l’ONU Sida, à savoir 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut, 90 % d’entre elles ont accès à un traitement antirétroviral (ARV), et 90 % des personnes sous ARV ont une charge virale durablement supprimée. L’atteinte de ses objectifs repose sur un effort constant et un suivi régulier des personnes vivant avec le VIH, et masque des disparités en fonction des tranches d’âge : si les objectifs étaient presqu’atteints à l’échelle de la population générale vivant avec le VIH, c’est loin d’être le cas chez les plus jeunes (1). Les deux pays se préparaient à passer à l’objectif 95-95-95 qui permet d’entrevoir la fin de l’épidémie, lorsque la pandémie de Covid-19 a débuté. En réaction, l’Ouganda a opté pour un confinement long et l’un des plus stricts de tout le continent africain (2). Le Malawi n’a pas connu de mesures aussi restrictives, mais a subi une forte augmentation du coût de la vie.

La pandémie de COVID19 et ses effets délétères dans lutte contre le VIH

Les mesures mises en œuvre dans les deux pays ont entraîné des perturbations des systèmes de soins. Pour en connaître l’impact, Epicentre a mené une étude dans les deux sites où MSF accompagne les ministères de la santé pour le suivi et la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, à Arua en Ouganda et à Chiradzulu au Malawi.

« Au début de la pandémie, l’initiations des traitements antirétroviraux (ARV) a baissé de 50 % à Arua et de 34 % à Chiradzulu. Quant aux consultations cliniques, elles ont diminué de 68 % à Arua et de 60 % à Chiradzulu, décrit Jihane Ben Ben-Farhat, épidémiologiste à Epicentre. Nous avons aussi constaté en Ouganda une diminution de 15 % du nombre d’adultes suivis entre le 1er trimestre 2020 et le 1ertrimestre 2021, et de 17 % des enfants et les adolescents. »

Au Malawi, cette diminution est moindre [respectivement 10 % et 12 %] et ne s’observe que pour les personnes en 1ère ou 2e ligne de traitement, pas chez ceux en 3e ligne. 

Parmi les raisons évoquées par les personnes qui ne se rendaient plus dans les cliniques pour renouveler leur traitement ARV ou consulter figure la crainte de contracter le COVID-19. Les établissements de santé étaient généralement considérés comme « bondés », les patients attendant les uns à côté des autres pour être examinés. Ainsi cet homme de 44 ans suivi à Chiradzulu explique « J'avais peur, car il y avait beaucoup de monde [à la clinique]. Les gens s'entassaient et nous rentrions tard, même si nous étions venus tôt. [...] La Corona peut être contractée dans des endroits bondés. »

Dessin d'adolescents montrant des soldats qui frappent les gens dans la rue.

A cela s’ajoutait les difficultés pour venir au centre de santé en raison des restrictions de transports. Les témoignages recueillis font aussi mention de la violence des autorités en Ouganda, comme l’illustre ce dessin réalisé lors d’un atelier mis en place par MSF pour stimuler la discussion chez les adolescentes vivant avec le VIH sur leur journée en temps de COVID-19. A travers lui, Sharon explique qu’elle n'est pas allée à l'hôpital à cause des soldats qui frappaient les gens dans la rue. [...] Elle et son frère Felix étaient pris par le temps - ils avaient dépassé l'heure du couvre-feu. Les soldats ont commencé à les frapper. Ils ont dû inventer un mensonge pour que les soldats les laissent.

Adapter le suivi et la prise en charge

Déjà largement pratiquée depuis plusieurs années, l’adaptation du suivi, mais aussi des modèles de délivrance des ARV aux personnes et à leur mode de vie a facilité la poursuite de la prise en charge. Les consultations cliniques individuelles de MSF, y compris les tests de routine, ont été arrêtées ; l'accent a été mis sur le renouvellement des médicaments afin de réduire le temps d'attente à l'hôpital et les traitements étaient distribués pour une période plus longue. Ces changements ont été assez bien acceptés et compris. Cette adolescente malawite venu renouveler ses ARV pour 3 mois contre 2 mois avant la pandémie déclare d’ailleurs « J’ai senti que c'était une bonne chose parce que je ne viendrai pas ici très souvent avec tout ce qui se passe avec Corona. »

Les clubs d'adolescents se sont poursuivis au Malawi. Toutefois la suspension des repas en commun, des jeux, de la danse et de la musique qui offre la possibilité de vivre une vie « normale » et « agréable » malgré le VIH a été vécu comme un manque. « C'était dur parce que beaucoup d'enfants avaient l'habitude de danser et de jouer à des jeux comme le bawo, mais maintenant on nous a dit de nous asseoir à part. [...] MSF venait pour donner des conseils et des médicaments. » déplore une jeune participante.

En Ouganda, une stratégie de collecte communautaire des ARV a été mise en place pour le renouvellement des traitements pendant la période où les patients n'étaient pas autorisés à se rendre à l'hôpital, d'avril à juillet 2020. Par contre le contact avec les personnes en RDC qui traversent la frontière pour être suivies par MSF à Arua a été difficile à maintenir. La distribution des ARV a été partiellement assurée par une infirmière à Aru en RDC ou par les rares personnes qui pouvaient se rendre en Ouganda et rapportaient des médicaments pour les distribuer à d'autres patients, dans le cadre d'un groupe communautaire improvisé.

Des vécus parfois différents, mais marqués par les difficultés

En plus des violences de la part des autorités qu’il a entraîné, le confinement strict est souvent décrit dans les témoignages comme ayant eu un impact négatif sur la vie en général et la capacité à gérer sa séropositivité à la maison. Au Malawi c’est la crainte de contracter le Covid-19 et les difficultés d'assurer revenu et nourriture qui dominaient. D’autant plus que MSF a dû suspendre ses activités de soutien social pendant cette période. L'époque du COVID-19 est décrite comme nthawi ya njala, soit littéralement une saison de la faim, avec comme contrepartie pour les personnes vivant avec le VIH la difficulté de prendre des médicaments à jeun parfois pendant plusieurs jours, ce qui donne la nausée et fait parfois vomir. Autant d’informations dont il faudra tenir compte dans la mise en place de nouvelle riposte pour de futures épidémies.

(1) https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/JC3032_AIDS_Data_book_2021_En.pdf

(2) https://ourworldindata.org/covid-stringency-index

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Impact de la Covid-19 sur la prise en charge du VIH au Malawi et en Ouganda | Jihane Ben-Farhat

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