Un « 2 en 1 » pour dépister le cancer du col de l’utérus au Malawi

Jeudi 30 novembre 2023
Cancer
Introduction
Epicentre, avec le soutien de la Fondation MSF, coordonne le site du Malawi de l’étude internationale PAVE du National Cancer Institute (NCI- USA) qui évalue une nouvelle stratégie de dépistage du cancer du col de l’utérus en deux temps : tout d’abord l’identification des femmes infectées par le virus HPV, responsable de 95 % de ces cancers, et parmi celles-ci, avec l’utilisation de l’Intelligence Artificielle (IA), l’identification de celles présentant des lésions précancéreuses qui sont ensuite traitées. Amna Haider nous explique en détail le principe de cette vaste étude multicentrique.
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Corps éditorial

En quoi consiste l’étude PAVE ?

Amna Haider : L’étude PAVE a pour but d’évaluer et d’optimiser un nouvel algorithme de dépistage-triage-traitement du cancer du col de l’utérus. Détecté à un stade avancé les chances de guérison de ce cancer, le 4e en termes de fréquence chez les femmes dans le monde, sont faibles. L’enjeu est donc de le diagnostiquer le plus tôt possible, idéalement au stade de lésion précancéreuse. Or dans 95 % des cas ce cancer se développe à la suite d’une infection par un papillomavirus (HPV) transmis lors d’une relation sexuelle. Ce virus s’insère dans le matériel génétique des cellules et déclenche leur transformation en cellules cancéreuse. Au début de ce processus, il se forme une lésion précancéreuse, visible par une simple inspection visuelle après application d’acide acétique sur le col utérin, et facilement traitable.

La stratégie proposée par le National Cancer Institute des Etats-Unis dans le cadre de l’étude PAVE comprend dans une premier temps une détection combinée à un génotypage du HPV et puis, chez les femmes présentant un HPV à haut risque, une évaluation visuelle automatisée (EVA) avec un algorithme qui reconnaît les lésions précancéreuses sur les images digitales du col de l’utérus. L’algorithme a été entraîné à partir d’un échantillon d’images représentatives de pré-cancers du col de l’utérus et de tissu sain à identifier ces lésions. Lors d’études précédentes, il s’est montré plus performant que d’autres tests de dépistage, notamment le dépistage par inspection visuelle du col par un professionnel de la santé. Il s’agit désormais de le valider à plus large échelle et dans des pays à revenu faible ou intermédiaire. Car cette nouvelle stratégie de triage s’avère être relativement peu coûteuse, rapide, précise et reproductible. Dans le cadre de l’étude PAVE, le test de référence est l'histopathologie des échantillons de tissus prélevés chez toutes les participantes dont le test de dépistage HPV est positif.

Le consortium dirigé par le NCI inclut 10 sites d’études (Nigeria, Salvador, Tanzanie, Malawi, Eswatini, Cambodge, Honduras et République dominicaine et 2 sites au Brésil) et portera sur 100 000 femmes. Avec le soutien de la fondation MSF, je coordonne le site du Malawi.

Quelles sont les spécificités de ce site ?

Amna Haider : Chaque année au Malawi plus de 4 000 femmes sont atteintes de cancer du col de l’utérus, et près de 3000 femmes en meurent. Le Malawi déplore la plus forte mortalité due au cancer du col de l’utérus au monde (avec 51,5 décès/100 000/an). Ce taux est deux fois supérieur à celui observé ailleurs en Afrique de l'Est et sept fois supérieur au taux mondial. MSF intervient depuis plusieurs années dans le dépistage et le traitement du cancer du col, en collaboration avec le ministère de la Santé malawite dans 10 centres de santé et leurs zones de recrutement dans les districts de Blantyre et de Chiradzulu, dans le sud du Malawi.

Malgré les campagnes existantes, la couverture du dépistage du cancer du col de l'utérus reste encore bien en deçà de l'objectif national de 80 % des femmes dépistées par inspection visuelle au moins une fois. Une enquête menée par Epicentre en 2019 montre que seulement 40 % des femmes avaient été dépistées à Blantyre, et encore moins dans la zone rurale de Chiradzulu (1). Bien que cela ne soit pas la seule arme pour lutter contre le cancer du col de l’utérus, le dépistage, en complément de la prévention, joue un rôle essentiel pour réduire la mortalité au Malawi en permettant la détection précoce de ce cancer. 

Après accord du comité d’éthique local, l’étude PAVE a donc débuté au Malawi en septembre 2023. Dans un premier temps nous allons « entraîner » l’algorithme à reconnaître les lésions précancéreuses car il peut exister des différences en fonction des populations, mais aussi du type de HPV à l’origine des lésions. A terme, dans le cadre d’une étude complémentaire, nous envisageons d’ailleurs d’étudier le pouvoir cancérigène du HPV 35 dans le contexte du Malawi. Car, si les formes couramment responsables des lésions précancéreuses sont les HPV 16 et 18, il existe près de 200 types de HPV à travers le monde et une étude a montré que le HPV 35 était très fréquent dans la population malawite (1).

Ensuite, notre objectif est de proposer ce protocole de dépistage à 10 000 femmes malawites. Les femmes chez lesquelles une lésion précancéreuse ou une infection à haut risque par le virus HPV aura été identifiée seront traitées par thermoablation. L’étude inclut également leur suivi pendant deux ans afin d’évaluer le taux de guérison des femmes ayant bénéficié d'une thermo-ablation à 1 et 2 ans. Et une autre caractéristique de l’étude au Malawi est d’observer comment les lésions précancéreuses vont évoluer chez les femmes vivant avec le VIH par rapport aux autres. En effet les femmes vivant avec le VIH sont six fois plus susceptibles de développer un cancer du col de l'utérus que les autres.

Pave cancer du col de l'utérus Malawi

Quels sont les bénéfices attendus ?

Amna Haider : Le programme de dépistage des lésions précancéreuses de MSF est à ce jour principalement basé sur l'inspection visuelle. Or, le taux de positivité semble extrêmement faible dans les sites de Blantyre et Chiradzulu par rapport à ce qui peut être observé dans des sites assez similaires, ce qui pose la question du contrôle de la qualité des activités de dépistage et de la fiabilité de l'identification visuelle des lésions précancéreuses, même par des infirmières ou des médecins expérimentés. Avec cette étude, nous espérons améliorer le dépistage des femmes malawites et contribuer ainsi à la réduction de la mortalité par cancer du col de l'utérus.

En outre, cette étude nous permettra d'étendre la stratégie actuelle de dépistage par inspection visuelle au test HPV. Le nouveau test de dépistage des virus HPV est plus rapide et moins coûteux que le test GeneXpert actuellement utilisé dans un nombre limité d'établissements au Malawi, ce qui devrait permettre d'accélérer le nombre de tests effectués.

Si cette méthode de dépistage s'avère efficace, elle pourrait être proposée à un plus grand nombre de femmes au Malawi et dans le monde. Sachant que plus de 90 % des décès dus au cancer du col de l'utérus surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, il s'agit là d'un réel espoir de réduire l'incidence de ce cancer qui, s'il n'est pas détecté tôt, nécessite un traitement par radiothérapie ou chimiothérapie, souvent inenvisageable dans ces contextes.

 

(1) Cervical cancer screening coverage and its related knowledge in southern Malawi. Gerstl S., Lee L., Nesbitt RC., Mambula C., Sugianto H., Phiri T., Kachingwe J., Llosa AE. BMC public health 2022 Feb 14; 22(1); 295. doi: 10.1186/s12889-022-12547-9. Epub 2022 02 14
(2) Comprehensive Human Papillomavirus Genotyping in Cervical Squamous Cell Carcinomas and Its Relevance to Cervical Cancer Prevention in Malawian Women. Brooke E Howitt, Michael Herfs, Tamiwe Tomoka, Steve Kamiza, Tarik Gheit, Massimo Tommasino, Philippe Delvenne, Christopher P Crum, Danny Milner. J Glob Oncol. 2016 Aug 10;3(3):227-234. doi: 10.1200/JGO.2015.001909. eCollection 2017 Jun.
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