Algorithmes de décision thérapeutique pour la tuberculose : des données préliminaires prometteuses soulignent leur valeur ajoutée dans le diagnostic chez les enfants
La tuberculose reste l'une des maladies infectieuses les plus meurtrières, avec un enfant mourant toutes les trois minutes. Bien que des traitements existent, cette maladie reste sous-diagnostiquée chez les enfants. Car d’une part elle peut ressembler à d'autres maladies infantiles, et d’autre part, les tests de laboratoire qui fonctionnent bien chez les adultes sont moins utiles chez les enfants car leur charge bactérienne est généralement plus faible. Le sous-diagnostic de cette maladie chez les enfants empêche l’initiation d'un traitement adéquat. Cette réalité pourrait évoluer grâce aux nouvelles recommandations de l’OMS, qui incluent entre autres des algorithmes visant à augmenter le nombre d'enfants diagnostiqués et à accélérer la mise sous traitement. Ces algorithmes se présentent sous forme d’organigramme avec des étapes à suivre par le clinicien et un système de score qui attribue des points en fonction des symptômes (par exemple : toux, fièvre, sueurs nocturnes, perte de poids) et des résultats radiographiques (dans les contextes où ils sont disponibles). Le traitement est recommandé dès qu'un certain seuil est atteint.
Les autres recommandations de l'OMS prévoient un traitement plus court pour les formes non sévères chez les enfants et un traitement pour prévenir la tuberculose chez les contacts familiaux.
Le projet TACTiC : révolutionner le traitement de la TB chez les enfants
Le projet Test, Avoid, Cure TB in Children (TACTiC), lancé fin 2023 par Médecins Sans Frontières (MSF), prévoit la mise en œuvre de ces recommandations dans 12 pays d’Afrique et d’Asie. Outre leur mise en œuvre, le projet comprend un volet de plaidoyer et un volet de recherche opérationnelle. L’une des études coordonnée par Epicentre, « TB ALGO Ped », se concentre sur la mise en œuvre des algorithmes dans cinq pays : Nigéria, Niger, Guinée, Ouganda et Soudan du Sud. Ces algorithmes, bien que relativement simples et ne nécessitant pas d'analyses de laboratoire complexes, demeurent largement sous-utilisés et n'ont pas encore été évalués.
L'objectif de cette recherche opérationnelle est de documenter la mise en œuvre de ces algorithmes, d'évaluer leur performance diagnostique, ainsi que leur faisabilité et leur acceptabilité. L'étude TB ALGO Ped comporte trois volets :
- une étude prospective quantitative de la performance des algorithmes,
- une étude de faisabilité et d'acceptabilité auprès des professionnels de santé et des soignants,
- la documentation de leur mise en œuvre.
Les premières données de cette recherche, présentées lors du plus grand congrès mondial sur la tuberculose, The Union World Conference on Lung Health, qui s'est tenu du 12 au 16 novembre 2024, révèlent des succès et des points à améliorer dans la mise en œuvre de ces algorithmes, une bonne acceptabilité par les professionnels de santé, ainsi qu'un impact positif sur le nombre d'enfants identifiés comme ayant une tuberculose et mis sous traitement.
Un outil prometteur pour accélérer le diagnostic et le traitement
À ce jour, l'étude a recruté 1 613 enfants dans cinq pays. Il apparaît que le score de l'algorithme est le plus souvent l'élément déclencheur du traitement, plus que les résultats des tests de laboratoire ou les antécédents de contact avec d’autre patient tuberculeux. L’utilisation des algorithmes semble réduire significativement le nombre d’enfants non diagnostiqués et non traités, surpassant les approches cliniques ou biologiques traditionnelles. L’approche multifacette du diagnostic associé à ces recommandations multiplierait les chances d’initier un traitement rapidement dès le premier contact avec le système de soin.
Focus sur les enfants malnutris : un enjeu crucial
Les enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère, particulièrement vulnérables à la tuberculose, ont bénéficié de l’implémentation des algorithmes dans le cadre des programmes nutritionnels au Niger et au Nigéria. À Maiduguri, au Nigeria, les résultats mettent en avant une augmentation de la proportion d'enfants identifiés comme ayant une tuberculose et mis sous traitement après la mise en œuvre de l'algorithme. En outre la majorité des traitements ont été initiés grâce à l'algorithme basé uniquement sur les signes cliniques, sans recours à la radiographie, ce qui met en évidence la valeur ajoutée de cet outil simplifié.
Des leçons essentielles pour la mise en œuvre des algorithmes de traitement
La documentation de la mise en œuvre au Nigéria, au Niger, en Guinée, en Ouganda et au Soudan du Sud montre que la diversité des contextes d’application de ces algorithmes de décision thérapeutique engendre des défis variés. Bien que ces algorithmes soient relativement simples dans leur contenu clinique, leur utilisation requiert plusieurs étapes et une coordination entre différents services de santé (laboratoire, radiologie, suivi ambulatoire, etc.), rendant leur mise en œuvre plus complexe.
Malgré les discussions sur l'application clinique des algorithmes, notamment chez les enfants souffrant de malnutrition, de nombreux obstacles à la mise en œuvre ne sont pas propres aux algorithmes eux-mêmes. La documentation souligne plutôt l'importance de mener un travail en parallèle pour renforcer le système de santé local, en optimisant les structures, les ressources et la gestion nécessaires à l'adoption efficace des algorithmes de décision thérapeutique.
L’étude met en lumière plusieurs éléments clés pour une mise en œuvre réussie. En premier lieu, il est essentiel de réaliser une analyse contextuelle approfondie pour identifier les principaux obstacles et facilitateurs. Cette étape permet d’anticiper les besoins en financement, ressources humaines, adaptation du parcours patient, engagement communautaire et avec les autres parties prenantes, ainsi que les exigences en logistique et infrastructure.
Ensuite, un leadership et une gestion solides sont indispensables pour orienter les actions, superviser les évolutions et réévaluer le processus d’implémentation. Un plan de mise en œuvre structuré augmente les chances de succès. Les informations recueillies lors de l’analyse contextuelle aident à évaluer l’état de préparation, définir les étapes pratiques, fixer des objectifs clairs, établir des calendriers et assigner des responsabilités. Enfin, des normes et indicateurs doivent être définis pour évaluer l’efficacité du processus d’implémentation et mesurer l’impact médical de l’algorithme.
L'implication d'une équipe clinique multidisciplinaire est essentielle pour l'utilisation des algorithmes, tout comme l'engagement de la communauté bénéficiaire afin d'assurer une intégration harmonieuse. En outre, l'adoption d'une méthodologie d'amélioration continue de la qualité est indispensable pour réévaluer et optimiser progressivement l'utilisation des algorithmes. Investir dans ces aspects de la mise en œuvre contribue à une utilisation plus efficace et durable des algorithmes."
Acceptabilité des algorithmes : retour de l'Ouganda, du Niger et de la Guinée
Une autre dimension présentée lors du congrès a été l’évaluation de la faisabilité et de l'acceptabilité de ces nouveaux algorithmes, à travers des entretiens individuels et des groupes de discussion avec des professionnels de la santé. En Ouganda, au Niger et en Guinée, ces outils innovants ont été bien accueillis en raison de leur caractère pratique et de leur facilité d'utilisation, ce qui améliore la prise de décision diagnostique. Les travailleurs de la santé font état d'avantages tels qu'une initiation plus rapide du traitement et une plus grande autonomie.
L'introduction de ces algorithmes a également généré des problèmes, comme la perception d'une augmentation de la charge de travail par certains praticiens, la nécessité d'une formation supplémentaire et de directive plus claire. Une supervision efficace est essentielle pour garantir une mise en œuvre correcte, et les rôles au sein du processus de diagnostic doivent être clarifiés. Les recherches menées au Niger montrent que la motivation à utiliser ces algorithmes varie d'un agent de santé à l'autre en fonction de son rôle, avec des conséquences an niveau du respect des procédures.
En conclusion : vers une révolution dans le traitement de la TB chez les enfants ?
Ces résultats préliminaires montrent que l’intégration des algorithmes de décision thérapeutique dans les pratiques médicales pourrait transformer la prise en charge de la tuberculose chez les enfants. En facilitant le diagnostic précoce et en augmentant le nombre d’enfants traités, ces algorithmes offrent une nouvelle perspective dans la lutte contre cette maladie. Le congrès de l’Union a été une opportunité clé pour partager ces premières avancées et discuter des prochaines étapes pour une mise en œuvre élargie. L'étude se poursuivra au cours des prochains mois et les résultats finaux devraient inclure davantage d'informations sur la précision diagnostique de l'algorithme. Rendez-vous l'année prochaine pour connaître les résultats complets de la recherche opérationnelle TACTiC.
© Stuart Tibaweswa