COVID-19 en Afrique & au Yémen : que nous apprennent les enquêtes de séroprévalence ?

Mardi 4 janvier 2022
COVID-19
Introduction
Alors que la vague Omicron se poursuit, que s’est-il réellement passé lors des vagues précédentes en Afrique? Le continent africain a-t-il été épargné jusqu’à présent par la pandémie ? Des pistes de réponses grâce aux enquêtes de séroprévalence menées par Epicentre et l’IRD dans plusieurs pays africains et au Yémen révélées lors du webinar du 16 décembre.
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Au 3 décembre 2021, l’Afrique et le Yémen ont notifié via leur système de surveillance un peu plus de 3 % des cas confirmés de COVID-19, alors qu’ils représentent plus de 18 % de la population mondiale, soit un taux d’attaque 6 fois inférieur à celui du reste du monde. Le nombre de décès rapporté est également plus faible que dans d’autres parties du monde. Cette moindre circulation du virus peut s’expliquer par une population plus jeune et une habitude de gestion des épidémies à l’origine d’une réponse plus précoce. Mais est-ce la réalité ? Ou l’épidémie a-t-elle été sous-estimée en Afrique et au Yémen ? En 2021, Epicentre a mené plusieurs enquêtes de séroprévalence et de mortalité rétrospective dans divers pays africains et au Yémen, et auprès de populations différentes – personnels soignants, résidents de camps de réfugiés, population générale – qui apportent des éléments de réponse, assez distincts de la réalité observée.

De l’art de choisir le bon test

tests COVID19
Légende
© Galipeau et al. Frontiers in Immunology. Dec 2020

Il faut tout d’abord distinguer les tests PCR ou antigénique qui révèlent la présence du virus et permettent ainsi de savoir si la personne est infectée (qu’elle soit symptomatique ou non) au moment du test, des tests sérologiques qui recherchent la présence d’une réponse immunitaire, principalement dans le sang, afin de déterminer si la personne a été infectée antérieurement. Les tests sérologiques se basent sur la détection d’immunoglobulines de type M, G ou A ou des anticorps totaux. Les IgA et les IgM, première ligne de défense, disparaissent rapidement. En revanche les IgG, impliquées dans la réponse mémoire, persisteraient plusieurs mois. « Ce sont ces derniers que nous avons principalement recherché dans nos enquêtes de séroprévalence », précise Céline Langendorf, coordinatrice laboratoires d’Epicentre. Les IgG ciblent différentes parties du virus comme la protéine spike S, la nucléocapside N, ou le receptor binding domain (RBD). Certains d’entre eux ont la capacité d’être neutralisants, c’est-à-dire empêcher la pénétration du virus dans la cellule.

En plus de la multiplicité des anticorps pouvant être recherchés, il existe une grande diversité de tests sérologiques, du plus complexe au plus simple : les tests de neutralisation, les tests ELISA ou de chimioluminescence et de fluorescence et enfin les tests rapides immunochromatographiques (ou test de diagnostic rapide, TDR). Leur facilité d’utilisation varie ainsi que leur sensibilité et leur spécificité.

« Chacun possède des avantages et des inconvénients dont il faut tenir compte pour choisir le test en adéquation avec les objectifs de l’étude, mais aussi lors de l’interprétation des résultats, » rappelle Céline Langendorf.

Une des options est d’utiliser des méthodes très spécifiques (pour limiter le nombre des faux positifs), en ayant recours à des tests multiples, reposant sur la recherche de plusieurs marqueurs de la réponse immunitaire (comme les anticorps anti-S + anti-N). « Si cette méthode très spécifique permet d’estimer une séroprévalence minimale, le risque est de ne pas détecter certains vrais positifs et donc de sous-estimer l’impact d’une épidémie, » note la biologiste. Une autre option est de choisir des tests très sensibles, au risque de surestimer la séroprévalence mais de s’assurer de décrire la proportion de population qui a été en contact avec le virus (même faible) pour évaluer l’étendue de l’épidémie et son impact.

Quelle réalité épidémique en Afrique et au Yémen ?

Entre septembre 2020 et novembre 2021, Epicentre a mené plusieurs enquêtes de séroprévalence au Cameroun, en Côte d’Ivoire, en RDC, au Yémen, au Mali, au Soudan, au Kenya et au Niger auprès de diverses populations. Elles visent à répondre à plusieurs interrogations, comme l’a notifié Salha Issoufou, Directeur médical et des opérations de MSF WACa, en préambule du webinar. En raison du faible accès aux tests diagnostiques, des craintes d’une épidémie demeurées silencieuses, mais ayant entrainant des dégâts non repérés demeurent. Les objectifs principaux de ces enquêtes étaient d’évaluer la diffusion du virus dans ces populations à travers des tests de séroprévalence et d’estimer l’impact de la pandémie en estimant l’excès de mortalité directement lié au virus et indirectement, en raison des effets collatéraux de la pandémie. Pour MSF, ces enquêtes de séroprévalence doivent permettre d’ajuster les opérations sur la base du risque réel, d’allouer au mieux les ressources entre le COVID-19 et les maladies à fort risque comme le paludisme ou la rougeole et d’identifier les groupes à cibler tout particulièrement lors des prochaines vagues. Elles sont aussi une source d’informations sur l’utilisation des tests diagnostiques rapides (TDR), qui représentent un espoir pour améliorer le diagnostic dans les populations d’accès difficiles. Car ces enquêtes ont été menées dans des contextes d’intervention de MSF et parmi les populations où les données sont peu nombreuses.

Pour le personnel de santé, particulièrement exposé, la présence d’une infection passée et d’une infection en cours a été recherchée, respectivement par tests antigénique et sérologiques, ainsi que les symptômes associés au COVID-19.

  • Dans la région de Maradi où l’enquête s’est déroulée de mars à avril 2021, la séroprévalence estimée était de 42% par TDR et de 85% par test en laboratoire ELISA. Alors même que ce pays n’avait notifié que très peu de cas de COVID-19.
  • Dans le centre de traumatologie de MSF à Aden où l’étude a eu lien de septembre 2020 à janvier 2021, 19 % du personnel était positifs par TDR. Un dépistage additionnel sur un sous échantillon avec un test de laboratoire ECLIA a révélé une séroprévalence beaucoup plus haute de 59 %, alors que la séroprévalence par TDR avait diminué à 8% suggérant une perte de sensibilité au cours du temps des TDR.
Séroprévalence Afrique

Pour la population générale, les enquêtes de séroprévalence ont été imbriquées dans des enquête de mortalité rétrospective et transversale avec échantillonnage en grappes. Près de 15 000 personnes ont ainsi pu être testé par TDR et dès que cela était possible des tests ELISA/ECLIA ont aussi été effectués. Les estimations de séroprévalence sont de

  • 5,8 % par TDR dans le camp de réfugiés de Dagahaley au Kenya (étude réalisée entre février et mars 2021 selon un protocole légèrement différent pour des raisons de sécurité). Le nombre de personnes infectées apparaît 67 fois plus élevé que le nombre de cas déclarés. (Pour en savoir plus sur les résultats du camps de Dagahaley, lire la publication)
  • 34.3 % par TDR et 54.6 % par test ELISA ou ECLIA, à Omdurman, au Soudan (étude réalisée de mars à avril 2021 (Pour en savoir plus : lire le pré-print)
  • 15.7 % par TDR et 43.5 % par test ELISA ou ECLIA à Lubumbashi en république Démocratique du Congo (étude réalisée d’avril à mai 2021),
  • 9.6 % par TDR sur toute la population du Cameroun (étude réalisée en août 2021), avec une forte hétérogénéité allant de 4,5% à 17,6 % selon les régions,
  • Les résultats des études réalisées dans deux communes d’Abidjan en Côte d’ivoire entre juillet à novembre 2021 sont en cours d’analyse.

A noter que l’enquête menée par l’IRD, soutenue par Africa CDC et présentée par Antoine Nkuba au cours du webinar va dans le même sens puisqu’elle rapporte une séroprévalence de 16,6 % à Kinshasa, supérieure au taux d’attaque. Cette enquête a été réalisée entre le 24 et le 28 novembre après la 1ère vague en RDC, et au début de la 2e vague avec la technologie Luminex qui permet de détecter les anticorps contre deux antigènes – l’un contre la nucléoprotéine et l’autre contre la protéine spike–, ce qui permet d’estimer une séroprévalence minimale.

Autre constat : la séroprévalence augmente avec l’âge. Par ailleurs, la présence d’une personne séropositive au sein d’un ménage est un facteur de risque très important, suggérant une forte transmission au sein des ménages. Que cela soit pour le personnel soignant ou en population générale, les résultats obtenus avec les tests de laboratoires sont nettement plus élevés que les résultats avec TDR ; cependant les tendances observées sur l’âge, le fait d’être personnel médical et la transmission intra-ménage restent valable quel que soit le type de test utilisé.

« Toutes nos enquêtes montrent des proportions de personnes ayant été infectées par le virus plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de fois supérieures aux taux d’attaque des cas confirmés dans ces pays, souligne Etienne Gignoux, épidémiologiste à Epicentre et coordinateur de ces enquêtes. En outre les personnes séropositives rapportent plus souvent avoir eu au moins un symptôme associé au COVID-19 que les personnes séronégatives. »

 

Dans toutes les enquêtes est également observé une hausse de la mortalité pendant la pandémie par rapport à avant la pandémie. Cette hausse est particulièrement élevée chez les plus de 50 ans. En dépit d’une population plus jeunes, les personnes séropositives déclarent avoir ressentie des symptômes. Ce faisceau d’indices suggère une forte sous détection et sous notifications des cas.

Une sous-estimation de la pandémie et une aide pour mieux organiser les futures ripostes

Rien n’indique que le continent africain a été plus épargné qu’un autre, d’autant plus que ces enquêtes ont été effectués avant les vagues des variants delta et omicron. Les personnels de santé et les personnes les plus âgées semblent avoir été particulièrement affectées.

« A cela s’ajoute le fait que la pandémie a eu un impact sur l’accès aux soins, enchaîne Etienne Gignoux. Toute les enquêtes notent une hausse des décès à domicile et à Dagahaley, on voit une baisse de presque un tiers des consultations et des admissions à l’hôpital. La hausse de la mortalité pendant la pandémie pourrait résulter d’une combinaison de décès directement liés à la maladie et indirectement. »

Le Pr Pierre Ongolo-Zongo, vice-président du groupe Consultatif national sur la vaccination au Cameroun, a rappelé en conclusion du webinar que ces enquêtes aidaient à comprendre la maladie et à pouvoir s’organiser pour les prochaines ripostes, et qu’elles devaient orienter les décisions en termes de choix vaccinal. Ce qui revient à poser autrement la question de l’égalité vaccinale. Comme le spécifiait au journal Le Monde en parallèle du webinar le Pr Yap Boum, représentant d’Epicentre pour l’Afrique « Cela doit nous conduire à poser la question de la valeur ajoutée d’une vaccination généralisée. Il faut oser dire que certains pays ont peut-être d’autres priorités de santé publique. »

En effet la population âgée et à risque est très peu nombreuse en Afrique, ce qui peut expliquer le plus faible nombre de mort rapportés et relativise la pertinence d’une action de vaccination ciblant tous les âges. De plus, cette stratégie détournerait des ressources déjà limitées, alors qu’un ciblage de la population à risque – les plus de 50 ans et le personnel médical – beaucoup moins nombreuse serait beaucoup plus efficient. Si la vaccination du personnel de santé et des personnes les plus vulnérables s’avère indispensable, des réponses locales et contextualisées semblent en revanche nécessaire pour le reste de la population.

 

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Publications

Seroprevalence of SARS-CoV-2 antibodies and retrospective mortality in a refugee camp, Dagahaley, Kenya.

Référence de l'article: PloS one 2021 ; 16(12); e0260989. doi: 10.1371/journal.pone.0260989. Epub 2021 12 17

Seroprevalence and risk factors of exposure to COVID-19 in homeless people in Paris, France: a cross-sectional study.

Référence de l'article: The Lancet. Public health 2021 Feb 05; doi: 10.1016/S2468-2667(21)00001-3. Epub 2021 02 05

Performance of six rapid diagnostic tests for SARS-CoV-2 antigen detection and implications for practical use.

Référence de l'article: Journal of clinical virology : the official publication of the Pan American Society for Clinical Virology 2021 Jul 25; 142 104930. doi: 10.1016/j.jcv.2021.104930. Epub 2021 07 25

Serologic response to SARS-CoV-2 in an African population.

Référence de l'article: Scientific African 2021 Jul ; 12 e00802. doi: 10.1016/j.sciaf.2021.e00802. Epub 2021 05 30

Beyond COVID-19: scaling up and sustaining mobile health in Africa.

Référence de l'article: Lancet (London, England) 2021 11 27; 398(10315); 1962-1963. doi: 10.1016/S0140-6736(21)02349-7. Epub 2021 11 30

Beyond COVID-19-will self-sampling and testing become the norm?

Référence de l'article: The Lancet. Infectious diseases 2021 Apr 12; doi: 10.1016/S1473-3099(21)00197-3. Epub 2021 04 12
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