Dr Corinne Tchoula : la science, de passion en inspirations
« Faire des études de sciences m’est toujours apparu comme une évidence, déclare en préambule Corinne Tchoula. Je voulais comprendre le fonctionnement du corps humain et l’impact de l’environnement sur lui. » Alors avec les encouragements de son père, elle s’inscrit à l’université de Yaoundé I en biochimie, discipline dans laquelle elle voit un moyen de répondre à ses interrogations. Pour son master, elle opte pour un sujet à cheval entre l’académique et la clinique : l’hyperlactatémie, l’un des effets indésirables des traitements antirétroviraux chez les patients vivant avec le VIH. « Si comprendre est primordial, mettre en application ses découvertes l’est tout autant à mes yeux » explique Corinne Tchoula.
La science : un métier solitaire mais où les soutiens comptent
Un deuxième master en sciences de la santé en poche, elle commence alors à définir les contours du projet de recherche qui fera l’objet de sa thèse : l’infertilité masculine au Cameroun. Ce sujet, majeur en termes de santé publique puisqu’environ 25 % des couples camerounais seraient concernés, va la confronter à nombre de difficultés, au centre desquelles figure le tabou associé à l’infertilité masculine. « Trouver des hommes qui acceptent de participer à l’étude ne fut pas simple, témoigne-t-elle. J’ai dû parfois aller à 6h du matin dans des laboratoires privés pour en rencontrer ». Et comme si s’attaquer à un tabou ne suffisait pas, Corinne Tchoula va aussi se mesurer à l’obstacle de la recherche de financement. « Heureusement tout au long de mon parcours, des personnes vont me venir en aide. Tout d’abord mon père qui va financer ma thèse, puis des femmes scientifiques qui, à travers leurs témoignages, m’apportent le ressort pour surmonter les moments d’abattements et les difficultés qu’elles ont pour la plupart souvent rencontrées elles-mêmes. » se souvient la biochimiste. La science demande bien des sacrifices : le plus dur est très certainement de vivre souvent éloignée de son fils né pendant sa thèse, mais il s’agit aussi de faire face aux aléas contextuels comme les pannes d’électricité fréquentes qui nécessitent d’aller récupérer des échantillons de toute urgence. Ajouter à cela le manque de solidarité entre femmes : c’est une femme qui, pour une raison inconnue, va en effet jeter 50 précieux échantillons, fruits de longues négociations.
« Les femmes ont été mes meilleurs soutiens, mais aussi parfois les pires obstacles, note Corinne Tchoula. C’est ce qui m’a motivé à créer ou intégrer des organisations pour soutenir les femmes dans leur carrière scientifique. Mon rêve c’est que les femmes se soutiennent. Cette entraide constituerait un levier extrêmement puissant pour rétablir le déséquilibre crée par l'iniquité et ainsi on défiera la loi physique qui dit que "deux corps de même nature se repoussent". ».
Inspirer les générations futures
Corinne Tchoula est membre fondateur et responsable communication et plaidoyer de Women in Global Health : Afrique de l’Ouest, membre fondateur et secrétaire générale de la Société Camerounaise de Microbiologie, membre fondateur et Secrétaire générale de Women in Global Health: Chapitre du Cameroun. Elle est en train de créer le chapitre Niger de l’Organization for Women in Science for the Developing World (OWSD) avec le Dr Mariama Issoufou d’Epicentre, mais aussi le chapitre du Niger de Women in Global Health. Depuis septembre 2020, elle a en effet rejoint le Centre de Recherche d’Epicentre situé à Maradi au Niger où elle est responsable du laboratoire. Ce n’était pas sa première collaboration avec l’institut d’épidémiologie et de recherche de MSF puisqu’elle travaillait au Cameroun avec le Pr Yap Boum, le représentant pour l’Afrique d’Epicentre, sur la riposte contre le Covid19 et l’évaluation des tests rapides pour le diagnostic. Désormais, elle coordonne les activités de biologie médicales pour les différentes études en cours au centre de Maradi, sur le paludisme notamment avec l’étude DeTACT, coordonnée par MORU qui vise à découvrir de nouvelles approches thérapeutiques pour lutter contre les formes résistantes, ou encore la malnutrition avec le lancement prochain d’une vaste étude qui évaluera un nouvel aliment thérapeutique prêt à l’emploi chez les jeunes enfants atteints de malnutrition aiguë sévère. « Dans ce poste je suis comme un poisson dans l’eau car il concilie ma passion pour la recherche et la participation aux réflexions sur les projets en cours et ceux à venir, s’enthousiasme la biochimiste. Je me sens bien dans cette fonction car j’ai vraiment l’impression que je vais pouvoir apporter des réponses aux populations. ». Tout juste devenue docteure le 7 février dernier, elle pense déjà à demain et envisage de reprendre l’enseignement pour continuer à transmettre, mais aussi pour s’obliger à rester à jour scientifiquement, comme si elle voulait coller parfaitement à l’expression camerounaise dont on qualifie les femmes qui veulent beaucoup étudier « tu fais le crayon ».